lundi 16 février 2009

PORTRAIT - Yan Pei-Ming, « La Joconde » en ligne de mire

Le Figaro, no. 20074 - Le Figaro et vous, jeudi, 12 février 2009, p. 30

L'artiste chinois expose « Les Funérailles de Monna Lisa » au Louvre, là où trônaient les Picasso d'après Delacroix.

LONGUE chevelure de Comanche où brillent quelques cheveux argentés, joues rondes de chérubin, oeil vif du vainqueur, Yan Pei-Ming, 47 ans, piaffe de joie et d'impatience en voyant arriver ses immenses formats dans le haut volume carré de la salle Denon. C'est mardi, jour de fermeture au Louvre, temps suspendu où le palais vide appartient à une poignée de privilégiés, chercheurs, commissaires d'exposition, peintres au chevalet qui copient les vieux maîtres, parfois une troupe théâtrale ou une compagnie de danse, et désormais, des artistes contemporains en pleine installation. Ming, le plus français des artistes chinois, y est intronisé pour trois mois en son nouveau royaume.

Il n'y a pas la cohorte habituelle des visiteurs et des touristes en transe dans la salle voisine, la salle des États transformée en chambre forte, dorée sur tranche, pour La Joconde au sourire sibyllin. Elle a son double fantomatique désormais, salle Denon. Une réinterprétation de l'icône du clair-obscur, version monochrome, pâle et « bigger than life », comme les affectionne Ming, portraitiste du monument Mao, « maître à penser de toute ma génération, homme à la fois brillant, cruel, stratège, cultivé », auquel il reconnaît « s'être identifié ».

Paysage en hors-champ

Le natif de Shanghaï « n'a pas copié l'original », mais s'enorgueillit d'avoir « fait poser Monna Lisa » pour lui seul, l'enchâssant dans un grand carré de 2,8 m × 2,8 m, l'isolant de tout contexte dans un halo mélancolique qui évoque la tradition classique de la grisaille. « Je n'ai pas voulu y faire référence », réfute ce portraitiste du noir, du gris et du rouge, et du grand format « qui évoque le cinéma ». « Le blanc est la couleur du deuil en Chine, et mon gris, presque argenté, la traduction picturale qui s'en rapproche le plus. »

« Dès que j'ai reçu l'invitation du Louvre, j'ai tout de suite pensé à Monna Lisa, le sujet le plus célèbre au monde, le tableau qui symbolise Le Louvre. La question était comment l'attaquer, l'interpréter ? Dans quelle langue ? Je voulais lui redonner une autre vie et le plus efficace était de l'enterrer, ajoute Yan Pei-Ming. Mais l'enterrer seulement était un geste trop orgueilleux, qui n'était pas juste vis-à-vis de l'histoire de l'art ni des autres artistes. J'ai donc eu l'idée d'accompagner ces Funérailles de la Joconde Monna Lisa des portraits de mon père et de moi-même, morts », a-t-il confié à Marie-Laure Bernadac, la chargée de mission pour l'art contemporain au Louvre qui ouvrit les salles de l'École du Nord au Flamand Jan Fabre au printemps 2008.

« J'ai traité le paysage en hors-champ et placé de part et d'autre de La Joconde ces deux plaines grises habitées de crânes, vanités peintes d'après mon propre crâne scanné. Elles sont immenses (2,8 m × 5 m) et l'absence de couleurs donne tout le mouvement de la lumière », explique cet admirateur de De Kooning, « pour son geste très libre », de Bacon, « pour sa psychologie de l'angoisse et sa vitalité radieuse de peintre », de Bertrand Lavier, « pour son intelligence, son vocabulaire et son élégance. »

Légion d'honneur remise par François Pinault

« Si on entre au Louvre, on retrouve l'éternité. Quand un père voit son fils mort, c'est le drame absolu. J'ai renversé la donne. Dans la peinture, mon père, qui est mort, me regarde. Je fais semblant d'être mort sur la toile, je le retrouve », confie, dans un bégaiement plein d'émotion, ce fils aîné de quatre enfants dont trois vivent désormais en France. « Mon père travaillait dans un abattoir de Shanghaï. Il est mort en 2003, et je n'ai jamais pu accepter son absence. Il a eu le temps de me connaître artiste, pas de me voir au Louvre. »

Ming fait partie depuis longtemps du paysage artistique français. Aguerri au marché, forgé par la « mentalité chinoise qui ne juge un artiste qu'à sa valeur marchande et son succès », il retourne les clichés et peint Obama pour la Fiac 2008 à Paris, les morts américains en Irak pour sa prochaine exposition au San Francisco Art Institute, et l'escroc Madoff en aquarelle noire et blanche pour l'Armory Show, début mars, à New York. Le 24 février, François Pinault, le collectionneur, lui remettra la Légion d'honneur...

- Jusqu'au 18 mai, aile Denon, salle Denon. www.louvre.fr

Valérie DUPONCHELLE

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