Dans la Chine rurale, l'inquiétude des « mingong ». Sur 130 millions de paysans-migrants, plus de 20 millions, frappés par la crise, se trouvent sans travail.
Feilong, Baishi (Chine) Envoyé spécial - Vous seriez venus dans quelques jours, vous n'auriez trouvé que des vieux et des enfants ! », soutient Xiao Fixiong, 62 ans, en désignant les maisons du village, mélange de fermes traditionnelles en pisé et de quelques constructions plus modernes en ciment. Le lendemain, la Fête des lanternes va clore les festivités du Nouvel An chinois, et la majeure partie de la force de travail de Feilong, gros hameau de 200 familles perdu au fin fond de la province du Jiangxi, s'apprête à repartir, comme chaque année, travailler dans le Guangdong (Canton).
Mais cette fois, en raison de la crise, tous les mingong - ouvriers-paysans - ne sont pas certains de retrouver leurs emplois dans les riches zones côtières : c'est toute l'économie des districts ruraux de Chine, dont beaucoup dépendent largement du soutien financier de ces migrants, qui est menacée.
Contrairement à ce qu'annonce M. Xiao, tous ne repartiront pas forcément aussitôt. « Je travaille dans une usine de textile à Dongguan, [près de Shenzhen], dit le jeune Lin Qingui, 29 ans. Depuis quelques mois, l'entreprise tourne au ralenti. Je ne suis pas au chômage mais je ne sais pas si j'aurais encore du travail la semaine prochaine. »
Début février, le département des affaires économiques et sociales du « Conseil d'Etat » a livré des statistiques officielles indiquant que sur les 130 millions de mingong qui, depuis des années, construisent dans les villes le « miracle » économique chinois, une vingtaine de millions sont sans travail, un chiffre qui devra être révisé à la hausse. Selon le gouvernement chinois, 40 % du revenu des ménages ruraux est lié à l'argent renvoyé par les travailleurs migrants dans leurs foyers.
La crise mondiale, qui frappe la Chine plus durement que prévu, inquiète les autorités. Que vont faire tous ces ouvriers-paysans qui ne sont plus des agriculteurs et dont les faibles parcelles de terre cultivables au rendement insuffisant ne peuvent plus nourrir leurs familles ? Le désordre menace-t-il les campagnes, une perspective qui hante la psychologie collective des dirigeants chinois ? L'Histoire leur a enseigné qu'en Chine les dynasties doivent se méfier des révoltes qui mûrissent sur le terreau du mécontentement paysan.
« Je vous dis que tous les gens de moins de 50 ans travaillent dans les villes mais moi, à 62 ans, je suis encore mingong », s'esclaffe Xiao Cijiong en grillant une cigarette de plus autour d'un thé pâle dans la salle à manger où sa famille et ses voisins sont réunis. Dans le décor poussiéreux d'un désordre indescriptible, la Chine rurale bâfre et rit ici de ses misères. Dans le salon au sol cimenté, à part la table, des chaises et un buffet, trône une vieille télévision. Une mobylette en mauvais état est jetée dans un coin. Xiao Cijiong se raconte : « Je suis chauffeur dans une usine, dans la province du Zhejiang [près de Shanghaï], je gagne 2 000 yuans par mois [un peu plus de 200 euros]. Et ce n'est pas avec un mu de terre cultivable 1 hectare = 15 mu que je vais m'en sortir ! Il faut que je travaille à l'extérieur. »
Autour de lui, une petite foule écoute, attentive et rigolarde. Encore beaucoup de bleus de chauffe type « Mao », des casquettes, des cigarettes aux lèvres, l'assemblée est typique de cet univers de la Chine profonde : des gens pauvres, fatalistes et toujours prêts à se gausser des fonctionnaires locaux. « La corruption est partout, à tous les niveaux, les responsables s'en mettent plein les poches », commente un vieil homme.
Quelques kilomètres plus loin, la situation n'est guère différente dans le village de Baishi. La région et le lieu sont chargés d'Histoire : à trois heures de route de là, près de Ruijin, les communistes chinois fondèrent, en novembre 1931, leur première « République soviétique ». Ici, trois ans plus tard, cédant devant le « 5e encerclement » des soldats de Tchang Kaï-check, Mao Zedong lui-même se réfugia à Baishi. A l'entrée du village, on vous montre un vieux temple des ancêtres qui abrita le futur Grand Timonier durant une quinzaine de jours en 1934.
Lin, la trentaine, travaille aussi dans la province de Canton et explique que Gao Hao, son usine de vêtements qui vivait en partie sur les commandes venues des Etats-Unis et de Cuba, a cessé toute exportation vers l'étranger dès la seconde moitié de 2008. Il y avait du travail pour 1 000 ouvriers, il en reste à peine pour 300. « Ce que je vais faire ? explique-t-il, en tripotant son téléphone portable. Eh bien, je vais attendre que l'on me prévienne que le carnet de commandes s'est rempli à nouveau et, avec ma bande de copains, on retournera travailler. » Et si l'usine ne réembauche pas ? « On verra, sourit-il, ici on vit au jour le jour... »
« Moi, je ne suis pas inquiet, intervient Xiao Yilan, 38 ans. Avant on était encore plus pauvres, on travaillait aux champs, on a survécu ! » L'homme, qui fait le motard-taxi en attendant mieux, est électricien-plombier. « Ce sont les jeunes sans qualification qui ont du souci à se faire, moi, je m'en sortirai », assure-t-il. Quant à vivre encore de la terre, il estime qu'il ne faut pas y compter même si « on ne mourait tout de même pas de faim ».
« Pour vraiment nous en sortir, dit-il, il faudrait revenir à l'élevage, avoir beaucoup de volailles et des porcs. Moi je récolte deux fois par an 800 kg de riz et j'en vends la moitié. Ça me rapporte de 2 000 à 3 000 yuans l'an. Mais même si le gouvernement a supprimé les impôts et nous accorde une subvention de 15 yuans par an et par mu , on ne peut pas aller très loin... »
Le gouvernement a beau promettre de bâtir les « nouvelles campagnes socialistes », expression signifiant qu'il faut améliorer le niveau de vie des paysans, les réalités du terrain cernent les limites de ces intentions. Le plombier-paysan soupire quand on lui demande s'il est prêt à « transférer ou louer » sa terre, comme le promet la récente réforme du secteur rural. Cela permettrait aux agriculteurs de disposer de manière plus souple du droit d'usage de terres qu'ils ne possèdent pas et qui restent la « propriété collective » des comités de villages.
Hu Qili, 92 ans, est l'un des derniers survivants à avoir assisté à la dernière réunion de Mao avant qu'il ne se mette en route pour la Longue Marche. Une lueur espiègle danse dans les yeux de l'ancêtre quand on lui demande, pour rire, ce que Mao aurait bien pu faire pour sauver la Chine de la crise : « Sous Mao, les gens étaient plus purs. Mais la vie était plus rude. »
© 2009 SA Le Monde. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire