jeudi 19 février 2009

OPINION - La société civile chinoise sous le choc de la crise économique - Pedroletti et Philip

Le Monde - Analyses, mardi, 17 février 2009, p. 2

La forte croissance de la Chine et l'espérance de mobilité sociale dont elle est porteuse ont permis au Parti communiste chinois de mettre en avant les nécessités du développement économique en remisant au loin les promesses de réformes politiques. En vertu de ce pacte - patience contre croissance -, le régime a traversé les deux dernières décennies sans troubles majeurs.

La crise financière mondiale pourrait changer la donne : les dirigeants chinois craignent que le ralentissement économique fragilise l'ordre social, cette « harmonie » fantasmée, prônée par le régime. Le premier ministre Wen Jiabao l'a reconnu à la fin de l'année 2008, les conséquences de la crise sur l'économie chinoise sont plus fortes que prévu : chômage en hausse, insuffisance de débouchés pour les jeunes diplômés, fermetures d'usines dans les zones côtières qui ont incarné le « miracle » chinois.

Questions d'actualité : la puissance du parti-Etat, dont la légitimité repose essentiellement sur la création des richesses et la promesse d'un « mieux-vivre », va-t-elle être affaiblie par la crise ? Le régime va-t-il être confronté à des troubles sociaux et faire face à une plus grande exigence de réformes politiques dans un contexte gros d'incertitudes ? Ces dernières années, le mécontentement prenait la forme de jacqueries paysannes contre les « ripoux » locaux du parti, de grèves sauvages de migrants, de frondes de petits propriétaires urbains et d'explosion de ressentiment identitaire (Tibétains, Ouïgours musulmans) aux confins de l'empire.

Aujourd'hui, la baisse brutale de la croissance pourrait élever le niveau du risque social en mettant à l'épreuve certains verrouillages autoritaires du système politique. Si l'équipe au pouvoir n'a pas la légitimité des urnes, le président Hu Jintao et son premier ministre Wen Jiabao font parfois figure d'arbitres face aux dérives des pouvoirs locaux. Tout au moins ils en jouent, se présentant comme soucieux de servir les intérêts du peuple et reconnaissant que leurs objectifs sont parfois battus en brèche par les « profiteurs » des lointaines villes ou des bourgs provinciaux. Ils s'efforcent, tout en insistant sur la lutte contre la corruption, de montrer qu'ils sont à l'écoute des moins favorisés. Ils sont peut-être plus sensibles qu'on ne le croit à la nouvelle doxa d'une « société civile » aux contours flous qui a acquis droit de cité grâce à l'Internet.

Le caractère autoritaire d'un régime prompt à tuer dans l'oeuf tout mouvement susceptible de le menacer se combine parfois avec une relative souplesse dans la gestion du mécontentement : la répression de la dissidence n'empêche pas une certaine réactivité aux demandes populaires. Même si la rapidité de la transmission de l'information, en dépit de la police de l'Internet, donne le sentiment que le pouvoir accompagne plutôt qu'il n'anticipe ces demandes...

Les drames de l'arbitraire se sont longtemps joués en cachette en Chine. Qu'ils éclatent désormais au grand jour bouleverse les perspectives : en théâtralisant des informations naguère confidentielles, l'Internet, fort de ses 300 millions d'usagers, a réveillé une conscience politique assoupie. Les incohérences ou les outrances du système sont dénoncées sur la Toile, provoquant un débat nouveau dans la société.

L'audacieuse initiative prise récemment par les rédacteurs de la « Charte 08 », copiée sur le modèle tchèque de la « Charte 77 » et rédigée par des intellectuels démocrates, est peut-être l'un des signes d'une demande accrue pour plus de transparence et de liberté. Ce texte marque l'initiative politique la plus significative depuis dix ans. Plusieurs militants avaient alors entrepris, en vain, de faire enregistrer légalement un parti politique indépendant, le Parti démocratique chinois. Ces dissidents font valoir qu'une économie et une société de plus en plus sophistiquées et complexes nécessitent davantage de mécanismes de régulation démocratiques pour être efficaces.

Les désirs de la grande majorité des Chinois n'ont pas pour objet le multipartisme ou le suffrage universel. Les jeunes et la classe moyenne embourgeoisée apparaissent largement dépolitisés : on est loin de la « génération 89 », à l'époque du mouvement de Tiananmen. L'appel à plus de liberté et de justice, relayé par une partie de l'élite urbaine, demande une presse libre, des syndicats et des ONG indépendants, une justice à laquelle les décisions ne soient pas imposées et une police obligée de rendre des comptes quand elle abuse de ses pouvoirs.

L'air du temps serait-il en train de changer dans ce pays qui reste la plus grande autocratie mondiale ? Le Weiquan yundong - un mouvement de défense des droits, qui a pris son essor au début des années 2000 lorsque avocats, juristes et universitaires ont entrepris de se saisir de cas d'injustice au nom du principe de l'application de lois existantes mais ignorées - est à la fois le fruit et l'ardent promoteur de cette évolution. Conséquence, le pouvoir est obligé d'adapter son discours ou de réagir face aux doléances croissantes de la société civile. Reste à savoir si la crise constituera un facteur d'évolution démocratique ou de repli politique.

Note(s) :

Courriel :
pedroletti@lemonde.fr; philip@lemonde.fr
Correspondants en Chine

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