mercredi 25 mars 2009

ANALYSE - Le pari risqué de la Chine dans les infrastructures - Marc Laperrouza

Le Temps - Economie, mercredi, 25 mars 2009

Le plan de relance concocté par Beijing offre-t-il une réponse adéquate à la situation conjoncturelle? Rien n'est moins sûr...

Force est de constater que la Chine ne déroge pas aux méthodes keynésiennes employées aux quatre coins de la planète pour surmonter la crise. Le plan de relance, devisé à près de 600 milliards de dollars, fait ainsi la part belle à des projets d'infrastructure. Construction de nouvelles lignes de chemin de fer à haute vitesse, d'autoroutes, d'aéroports ou de réseaux de fibres optiques: le nombre de projets et les sommes engagées sont étourdissants.

La Chine met donc les bouchées doubles pour contrebalancer l'effondrement de son commerce extérieur qu'a engendré la chute de la demande mondiale. Entre 2001 et 2005, le gouvernement avait déjà dépensé plus dans les secteurs ferroviaire et routier que durant les cinq décennies précédentes. Crise oblige, le gouvernement a quasiment fait fi de son plan quinquennal. Alors que la Chine comptait investir plus de 200 milliards de dollars entre 2006 et 2010 dans les infrastructures avant même que la crise ne se déclare, le chiffre a simplement été doublé. De plus, les investissements devront être réalisés au cours des deux prochaines années! C'est une réelle course aux infrastructures dans laquelle s'est lancé le pays tout entier telle que l'on n'en avait pas connue depuis le début du XXe siècle aux Etats-Unis.

Partie de zéro, la Chine aura construit en deux décennies un réseau d'autoroutes que seuls les Etats-Unis dépassent. A l'horizon 2020, 80'000 kilomètres d'autoroutes devront accueillir 20 millions de voitures privées - rien qu'à Pékin, 500'000 voitures sont mises en circulation chaque année.

Quant au rail, il devrait se voir attribuer 100 milliards de dollars en 2009 et une somme identique, voire supérieure en 2010. Vingt mille kilomètres devraient ainsi venir s'ajouter au réseau existant. A dire vrai, le réseau ferroviaire chinois souffre d'un sous-investissement chronique qui remonte à une vingtaine d'années. La Chine voit transiter sur son réseau ferroviaire 25% du volume mondial de marchandises alors qu'il ne représente que 6% du réseau mondial. En d'autres termes, c'est l'un des réseaux les plus denses au monde.

Le monopole étatique et l'aspect stratégique du secteur - le charbon qui alimente les centrales électriques transite principalement par le rail - ont trop longuement mis le Ministère des chemins de fer à l'abri de pressions réformistes. En dix ans, les trafics de passagers et de fret ont cru respectivement de 70% et de 60%. En conséquence, la capacité de fret ferroviaire ne répond actuellement qu'à 35% de la demande. Le plan de relance concocté par Pékin offre-t-il une réponse adéquate à la situation conjoncturelle? Rien n'est moins sûr. Car même si l'économie chinoise venait à atteindre 8% de croissance en 2009, la demande générée par la construction d'infrastructures reste ponctuelle. Et bien qu'indispensable, elle ne pose pas réellement les bases pour un développement durable.

Avec la crise, le modèle chinois de croissance basé sur les exportations a atteint ses limites. La chute de la demande mondiale handicape fortement une économie fondée en grande partie sur le commerce extérieur. La demande intérieure naissante ne compense de loin pas l'effondrement des exportations.

La Chine pourra certes tirer avantage d'une politique d'investissement axée sur les infrastructures. En effet, la croissance fulgurante au cours des vingt dernières années a engendré d'énormes pressions logistiques, avec pour conséquence que l'offre en transport peine trop souvent à combler la demande et occasionne une perte de temps et d'argent pour tous les agents économiques. Les constructions prévues devraient donc permettre de résorber certains goulots d'étranglement et les investissements de poursuivre la politique de transfert technologique adoptée par la Chine: il n'est pas rare que les consortiums étrangers se voient attribués des contrats à la condition que la technologie soit «partagée» et que, une fois appropriée, celle-ci soit même réexportée, comme l'illustre le récent contrat signé par la China Railway & Co pour la construction d'un monorail reliant Mina à La Mecque! Enfin, les infrastructures rutilantes et équipées des dernières technologies possèdent une forte portée symbolique qui s'accorde parfaitement avec l'image d'une Chine à la pointe du progrès. Le terminal 3 de l'aéroport international de Pékin, le plus long du monde avec ses trois kilomètres, en offre l'illustration la plus récente.

Le pari de la Chine sur les infrastructures pourrait s'avérer d'autant plus payant s'il s'accompagnait d'une réforme en profondeur dans la gestion des infrastructures et surtout de l'introduction de la concurrence. Beaucoup d'économistes chinois réclament depuis longtemps une ouverture réelle de ces industries aux capitaux privés chinois et étrangers. Pour l'heure, celle-ci se fait principalement par l'intermédiaire des bourses de Hongkong ou de New York, la poste, le rail et même les opérateurs téléphoniques restant entièrement sous la mainmise de l'Etat.

L'efficience accrue des infrastructures et, in fine, une utilisation optimale des capitaux devra passer par des réformes institutionnelles. Si l'on en croit les expériences passées, cela sera loin d'être aisé. La volonté affichée de certaines franges du gouvernement à réformer les services publics s'est souvent heurtée à une résistance des différents ministères concernés. Par rapport à d'autres pays, la Chine a l'énorme avantage de pouvoir dicter son propre mode de réforme et de développement. Il serait dommage qu'elle n'en profite qu'à moitié!

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