Le " port aux parfums " tangue sous le choc du " tsunami financier ", métaphore employée en Asie pour désigner la crise. A Hongkong, chaque semaine apporte son lot de mauvaises nouvelles. Fin février, les responsables de la Région administrative spéciale (RAS) - la dénomination du territoire depuis sa rétrocession à la Chine, en 1997 - prévoyaient une contraction de 2 % à 3 % de l'économie en 2009. Les analystes ont revu à la baisse ces prévisions. La chute des exportations va sans doute frôler les 6 %, et l'on redoute un taux de chômage de l'ordre de 7 %, ou même 8 %.
Des hommes d'affaires européens racontent que, dans cet univers ultralibéral où conditions d'embauche et de licenciement sont des plus souples, les employés acceptent désormais des réductions de salaire.
Optimistes, les Hongkongais se vantent d'une capacité d'adaptation hors du commun et assurent qu'ils s'en sortiront.
Le territoire a connu des crises à répétition depuis le premier choc pétrolier de 1973 : effets de panique après la signature des accords sino-britanniques de 1984 sur le retour de Hongkong à la Chine autoritaire et communiste, crise asiatique en 1997, épidémie de SRAS (le syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003, etc. La crise actuelle pourrait-elle avoir des effets plus durables que ces deux derniers épisodes, qui ont laissé des traces durables ?
" La crise de 1997 et le SRAS ont remis en question beaucoup de choses sur le plan économique ", explique Jean-François Huchet, le directeur du Centre d'études français sur la Chine contemporaine (CEFC). On aurait voulu faire du territoire un mini-Singapour, mais Hongkong n'est pas devenue une plate-forme régionale. Aujourd'hui, toute l'activité économique est liée à la Chine, d'où ce sentiment de vulnérabilité ressentie par de nombreux Hongkongais en raison des incertitudes que fait peser la crise financière sur le continent. Certes, il n'y a pas de crise institutionnelle et pas de faillites des fondamentaux... "
Hongkong, comme Singapour et Taïwan, est vulnérable, précisément en raison de sa taille et de sa dépendance à une stratégie économique fondée sur les exportations. " Hongkong, en tant que place financière et centre d'échanges commerciaux, n'a jamais été exposée de la sorte auparavant. Mais ainsi que Taïwan, Singapour ou la Corée, elle sera peut-être la première à sortir de la crise quand elle sera finie ", analyse Daniel Hofmann, responsable des questions économiques pour le groupe Zurich Financial Services.
Les premiers touchés ont été les ultrariches. Le Hongkong Standard rapportait récemment que le nombre de milliardaires est passé de 40 à 19 en 2008, tandis que la fortune cumulée des 40 principaux " tycoons " a chuté de 179 milliards de dollars à 82 milliards (entre 131 et 60 milliards d'euros) en raison de l'effondrement de la Bourse, qui a perdu 62 % depuis octobre. Mais la classe moyenne et les plus pauvres font à leur tour les frais du raz de marée. " Depuis 2006, les salaires des "working poors" - travailleurs pauvres - n'ont pas augmenté. Ils sont 500 000 ! Et 1,4 million de gens - sur environ 7 millions d'habitants - vivent sous le seuil de pauvreté dans ce monde où il n'existe pas de sécurité sociale ", accuse Leung Kwok-hung, député trotskiste et personnalité haute en couleur du Conseil législatif, qui s'est baptisé " Longs cheveux " en raison de son allure de hippie sur le retour.
Dans son bureau se pressent les " victimes " du système, notamment ceux qui ont investi dans les offres proposées par la banque américaine désormais en faillite Lehman Brothers. Près de 5 000 d'entre eux se sont réunis en une association de défense destinée à faire pression sur le gouvernement pour récupérer leurs investissements. En tout, ils seraient peut-être 43 000 à s'être fait gruger. Tel You Puifat, retraité, qui a perdu la moitié des économies de toute une vie après que la branche hongkongaise de la banque DBS de Singapour l'eut convaincu d'acheter pour l'équivalent de 150 000 euros en produits Lehman Brothers. M. You est effondré : le regard flou, il tourne tristement les pages du formulaire qu'il a rempli avant la catastrophe et dans lequel on lui promettait 6 % de taux d'intérêt. Il ne lui reste rien de son investissement. " Je compte sur le gouvernement pour obliger la banque à me rendre mon argent ! ", espère-t-il.
A ses côtés, un certain " Jack " - il préfère ne pas dire son nom - est venu se joindre à l'association des victimes dans le bureau de " Longs cheveux " : " On a désormais le sentiment que le système bancaire est une institution sur laquelle on ne peut plus compter. " A 64 ans, cet ancien universitaire dénonce " l'arnaque " dont il a été victime après avoir investi des centaines de milliers d'euros. " J'ai perdu le quart de mes économies. Et ce gouvernement hongkongais qui se targue que le territoire est le centre financier de la planète ! ", fulmine-t-il.
Certains hommes d'affaires parient plutôt, eux, sur les paradoxales " opportunités " offertes par la crise. Eric Leung, l'un des responsables de la chaîne de restaurants Tao Heung, a inventé le concept de " un dollar, un poulet " pour fouetter l'ardeur d'une clientèle qui a tendance à déserter les restaurants. " Après le Nouvel An chinois, dit-il, on a enregistré une baisse de fréquentations de 5 % à 10% dans nos 55 restaurants. Mais notre nouvelle campagne de promotion marche. Pour moi, la crise c'est aussi une chance de se développer : en 2009, on ouvrira à Hongkong sept nouveaux restaurants. "
Bruno Philip
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