Cette Honda Accord noire étincelante, garée entre deux montagnes de cartons, monsieur Li l'a payée cash il y a deux ans. Le kilo de papier récupéré se vendait alors près de 2 yuans (0,20 euro). Chaque recycleur rêvait de connaître le destin de Cheung Yan, self-made-woman la plus riche du monde et première fortune de Chine, à la tête de Nine Dragons Paper, le premier groupe de recyclage de papier de Chine. Depuis les JO, Cheung Yan est tombée dans les profondeurs du classement des grandes fortunes chinoises, et monsieur Li se demande s'il pourra encore longtemps faire le plein de sa Honda. Le cours du papier à recycler a chuté à 0,65 yuan. Presque trois fois moins qu'en octobre 2006, «quand les camions passaient comme un courant d'eau» dans les allées du marché en gros de Dongxiaokou, dans la banlieue nord de Pékin.
Pénurie. Dans chacune des 700 parcelles spécialisées, qui dans les bouteilles plastiques, qui dans les journaux, la ferraille ou les téléviseurs désossés, on travaille au ralenti. Chacun raconte la même histoire de centaines de milliers de yuans envolés en quelques semaines, la pénurie de clients et aussi de fournisseurs. La chaîne est rompue. Les collecteurs, près de 150 000, qui arpentent la capitale sur leur tricycle à la recherche de déchets, se font rares. Leurs revenus ont chuté de moitié. «Un yuan le kilo de plastique, grogne un quinquagénaire qui a traîné un impressionnant chargement de bouteilles vides depuis le centre-ville, ce n'est plus rentable.» C'est pourtant le prix ferme et définitif de l'acheteuse de Dongxiaokou, madame Wang : «Je vends deux fois moins cher qu'avant, explique-t-elle, j'ai perdu la moitié de mon chiffre d'affaires de l'année.» Chacun se serre la ceinture. Les salaires des dizaines de milliers de trieurs, employés à la journée par les recycleurs, ont baissé d'un tiers : «Je travaille plus et je gagne moins», lance une femme juchée sur une pile de cartons pliés, les mains écarlates dans le froid. Elle gagnait 1500 yuans par mois en septembre, et plus que 1 000 aujourd'hui. Beaucoup de trieurs seraient déjà repartis dans leurs campagnes.
La parcelle, à côté de chez Li le cartonnier, est vide, nettoyée. L'entreprise Wang qui l'exploite est spécialisée dans la récupération de ferraille. «Ça fait un mois qu'on ne travaille plus, explique Chen Mei, le concierge, plus personne n'y trouve son compte.» Entre septembre et décembre, selon l'association des ressources renouvelables, qui représente la profession, le cours du kilo d'acier est passé de 3 à 0,75 yuan. Il avait presque doublé au premier semestre 2008. La chute a été vertigineuse.
Dégringolade. Niu Wenli, recycleuse de métaux de Dongxiaokou, a préféré vendre à perte dès les premiers signes de la dégringolade en octobre : «Je bénis le ciel tous les jours d'avoir pris cette décision. Ceux qui ont fait des sto.cks en spéculant sont morts aujourd'hui.» Son portable reste muet. Les grands groupes acheteurs, les producteurs d'acier Baosteel ou Shougang, ont cessé de passer des commandes depuis plusieurs mois.
Dans toute la Chine, premier importateur de déchets du monde, l'ensemble de la filière est sinistré. Les médias officiels racontent que quatre cinquièmes des entreprises de recyclage auraient fermé, laissant sur le carreau des millions d'employés.
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