Quelle a été la politique chinoise au Tibet depuis cinquante ans ?
Pendant les huit premières années qui ont suivi l'invasion du Tibet [en 1951, ndlr], la Chine a tenté de faire des compromis avec l'élite tibétaine, les aristocrates et la hiérarchie religieuse, sans jamais parler de réforme. La fuite du dalaï-lama en Inde, il y a cinquante ans, a marqué la fin de cette tentative du dirigeant chinois, Mao Zedong, d'accepter la réalité de la situation. Au cours des vingt années suivantes, Mao a redistribué les terres à la classe paysanne, déclenchant une inimaginable période de férocité, de meurtres et de ferveur idéologique. Tout change en 1979 : Deng Xiaoping annonce une sorte d'entente avec l'élite tibétaine, qui est réhabilitée, et encourage un renouveau culturel. En 1980 à Lhassa, le secrétaire général du Parti communiste chinois, Hu Yaobang, s'excuse pour les atrocités passées et annonce que les cadres chinois au Tibet seront graduellement remplacés par des Tibétains. Un geste extraordinaire et impensable aujourd'hui ! L'ouverture débouche, au début des années 90, sur une politique de soutien à la classe moyenne tibétaine. Cette période durant laquelle les Chinois ont fait preuve de leur capacité d'accepter la société tibétaine dans sa totalité, était sans conteste la plus prometteuse pour l'avenir du Tibet. Aujourd'hui, ils s'en éloignent davantage jour après jour. A partir de 1992, Pékin est allé bien au-delà des mesures répressives militaires et policières classiques.
Comment ?
Pékin a commencé à détruire le tissu culturel tibétain qu'il considère comme étant à la racine des idées nationalistes, à l'aide de commissaires politico-culturels. Cette stratégie a été formalisée en 1994 par l'ancien président Jiang Zemin, qui a officiellement interdit le culte du dalaï-lama, et obligé le clergé à le dénoncer par écrit - en tant que personnalité religieuse. Auparavant, seules les positions politiques du dalaï-lama étaient critiquées. Tous les fonctionnaires, même les balayeurs municipaux, ainsi que les étudiants, se sont vu interdire de pratiquer tout culte religieux; les livres d'histoire du Tibet ont été réécrits pour minimiser le rôle de la religion; les intellectuels tibétains enseignant dans les universités ont été mis en retraite anticipée, tandis que la politique d'introduction du tibétain en tant que langue d'enseignement dans les écoles secondaires a été révoquée... Cette décision de la Chine moderne d'adopter - en se gardant de les rendre publiques - des pratiques héritées de la Révolution culturelle, constitue un tournant significatif. Tel un chirurgien, l'Etat s'est mis à amputer les compartiments de la pensée qu'il juge néfastes.
Le dalaï-lama décrit la situation actuelle au Tibet comme une occupation militaire...
Le Tibet est une garnison géante. Il y a une quinzaine de casernes autour de Lhassa, dont certaines sont immenses, et à l'approche d'une date d'anniversaire sensible, on voit des soldats armés prendre position derrière des sacs de sables. Les policiers s'équipent de gilets pare-balles bien qu'il n'y ait pas eu de cas de Tibétains utilisant une arme pour des raisons politiques depuis une trentaine d'années. La Chine paraît décidée à résoudre le problème du Tibet avec ses soldats plutôt que par le dialogue politique. On l'a vu l'an dernier avec la répression des 150 manifestations qui ont éclaté en l'espace de quelques semaines au Tibet.
Pourquoi les trois rencontres qui ont eu lieu l'an dernier entre les émissaires chinois et ceux du dalaï-lama ont échoué ?
Le pouvoir chinois a confié la question tibétaine à des bureaucrates qui n'ont pas intérêt à la résoudre, car la moindre concession déclencherait une réaction immédiate des durs du régime et des militaires, conduisant au limogeage de ces mêmes bureaucrates. C'est la recette d'un échec annoncé.
Pékin refuse-t-il l'idée même d'un compromis politique ?
Cela va plus loin encore. La Chine permet, depuis l'an dernier, l'expression nouvelle d'une haine ethnique à l'encontre des Tibétains. Pékin encourage un mouvement nationaliste qui qualifie désormais ouvertement les Tibétains de «terroristes» et les traite de manière discriminatoire, voire raciste. Depuis janvier, les Tibétains se voient refuser l'accès à beaucoup d'hôtels, à Pékin ou ailleurs en Chine ! Même des officiels tibétains sont parfois victimes de cette discrimination. Rien n'enrage davantage les Tibétains que ces mesures vexatoires, semble-t-il suscitées par une circulaire policière obligeant les patrons d'hôtels à signaler la présence de Tibétains dans leur établissement. Les Tibétains, qui sont pour la plupart persuadés que des centaines d'entre eux ont été tués dans la répression des manifestations de l'an dernier, n'ont plus la moindre considération pour le gouvernement chinois.
Robbie Barnett, auteur de nombreux ouvrages sur le Tibet, dirige le Centre d'études tibétaines modernes de l'université de Columbia, à New York. Il est l'un des meilleurs connaisseurs du Tibet.
Recueilli par PHILIPPE GRANGEREAU (à Washington)
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