lundi 2 mars 2009

Les avocats, «une menace» muselée par Pékin - Pascalle Nivelle

Libération, no. 8652 - Monde, lundi, 2 mars 2009, p. 11

Les autorités chinoises multiplient les intimidations.

Ils ont défendu Hu Jia et Chen Guangcheng, militants des droits de l'homme emprisonnés, mais aussi des centaines de citoyens ordinaires. Ils ont signé la Charte 08, pétition appelant à des réformes démocratiques, qui met le gouvernement chinois en émoi. Ils tiennent des blogs sur la corruption, l'injustice au quotidien, le Tibet, le droit à la santé et à la propriété. Ils réclament un barreau, qui les représente et les défende. Leur seule revendication est la stricte application de la loi. Cette poignée d'avocats, à peine une soixantaine sur les 15 000 inscrits à Pékin et encore moins en province, dérange. «Les avocats représentent une menace pour le régime car ils agissent dans la légalité, explique Li Fangping (PHOTO), avocat de 35 ans. Ils sont incontrôlables

«Bourreau». Ce n'est pas faute d'essayer. Yitong, plus célèbre des cabinets de la capitale en matière de droits de l'homme, est menacé de fermeture pour six mois par l'administration du district de Haidian. «Ce serait la mort de la firme», affirme l'un des fondateurs, Liu Xiaoyuan. L'avertissement est tombé à la mi-février, et la probable confirmation devrait être donnée demain : «On attend que les bourreaux frappent avec leur couteau», dit Li Jinsong, membre de Yitong et défenseur, entre autres, de Hu Jia.

La raison de cette suspension ? Le cabinet aurait employé un avocat interdit d'exercer depuis qu'il a attaqué légalement le bureau de justice de sa province. «Un prétexte, assure Liu Xiaoyuan. Cela fait un an que nous recevons des avertissements de toute sorte, on s'attendait à une sanction.» Créé en 2004, le cabinet comptait près d'une vingtaine d'avocats il y a un an. Ils ne sont plus que dix aujourd'hui. La plupart ont démissionné aux premières alertes, à l'automne, d'autres s'apprêtent à le faire et cherchent à se faire embaucher par un nouveau cabinet en emportant les dossiers : «L'important, ce sont nos clients. Sans cabinet, on ne peut pas plaider, poursuit Liu Xiaoyuan. Mais qui va nous engager ? Même si la plupart de nos confrères sont d'accord avec nous, c'est risqué.»

Teng Biao, jeune professeur à l'Institut de droit et de sciences politiques de Chine, a lui aussi connu des difficultés «d'ordre administratif». Pendant plusieurs années, il a exercé comme avocat dans le cabinet Huayi, tout en donnant ses cours. Mais un jour, sans raison particulière, ce blogueur énergique, militant dans une ONG qui oeuvre pour la démocratie, a été sommé de choisir entre ses deux casquettes. Son université n'ayant jamais fourni les papiers nécessaires pour qu'il soit avocat, il est resté enseignant. Mais il continue de suivre à la loupe le combat de ses anciens confrères, en première ligne des avancées démocratiques en Chine : «Le problème en Chine ce ne sont pas les lois, qui sont globalement bonnes, mais leur application», assure-t-il.

Souvent appelés sur des conflits qui mettent les autorités en cause, les avocats subissent de multiples pressions. De la suspension des licences, renouvelables annuellement, à la condamnation lourde pour subversion de l'ordre public, les méthodes sont variées. Parfois ce sont des intimidations physiques. «En province, je suis souvent suivi, même molesté», raconte Li Fangping, habitué de dossiers sensibles. En décembre, Li a défendu un de ses confrères : Liu Yao avait assisté à la destruction d'une palissade par ses clients expulsés illégalement. Du simple spectateur à l'accusation de passage à l'acte, il n'y a qu'un pas, franchi par les juges de la province du Guangdong. L'avocat a été condamné à deux ans de prison «pour destruction de biens publics», malgré une pétition inattendue, signée par 500 avocats de Shenzhen pour une fois solidaires. «Depuis quatre ou cinq ans, les avocats montent au front des conflits sociaux, explique Li Fangping. La pression devient forte, le gouvernement devra céder sur beaucoup de choses. Nous représentons le droit et la société civile, il n'y a rien à opposer à cela.»

Blog. Liu Xiaoyuan, l'avocat du cabinet Yitong, a défendu son client Yang Jia jusqu'au matin de son exécution, le 26 novembre. L'homme, qui clamait son innocence dans une affaire de vol de vélo, a assassiné six policiers dans un commissariat de Shanghai. Au grand désarroi des autorités, il est devenu une sorte de héros national sur Internet. Liu, qui a écrit une centaine d'articles sur le cas Yang Jia sur son blog, a contribué à sa réputation et sans doute ruiné la sienne aux yeux des autorités. Comme ses associés, il réclame aussi l'élection au suffrage universel des membres de l'Association des avocats. Tenue en laisse par le Bureau de la justice, cette association est loin d'être le barreau dont rêvent les avocats. «Ils sont censés nous défendre, mais ne servent qu'à nous surveiller, voire à nous sanctionner», explique Liu Xiaoyuan. Ce combat serait, selon lui, la raison majeure de la fermeture annoncée du cabinet Yitong.

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