Trois films, parmi les trente-sept que compte la compétition du festival Cinéma du réel (5-17 mars), à Paris, éclairent la crise économique actuelle. Nous avons pu les voir et ils sont remarquables. Il s'agit de California Company Town, de l'Américaine Lee Anne Schmitt, de L'Argent du charbon, du Chinois Wang Bing, et de La Chine est encore loin, de l'Algérien Malek Bensmaïl.
Ces films récents ne partagent pas seulement le fait d'être réussis. Ils évoquent la manière dont l'Histoire économique et politique, avec sa grande hache, inscrit ses stigmates dans le paysage géographique et humain, au risque de le vitrifier.
À l'autre bout du monde, Wang Bing nous amène, par les moyens du cinéma direct, à la renaissance brutale du capitalisme en Chine. L'auteur de A l'ouest des rails (2003), chef-d'oeuvre du documentaire contemporain, s'intéresse ici au convoyage du charbon depuis les mines de Mongolie intérieure. Traversant un paysage quasiment lunaire, les chauffeurs routiers, forçats noircis de sueur sortis d'un monde qu'on croyait révolu, tentent tout au long de la route de vendre leur marchandise au meilleur prix à des revendeurs qui ne s'en laissent pas compter. Filmées au plus près, ces âpres négociations délivrent un message plus général sur les rapports marchands, mélange de violence réelle, de jeu symbolique et d'absurdité beckettienne.
C'est pourtant bien à ce " miracle " chinois que rêvent les laissés-pour-compte algériens de La Chine est encore loin. Dans ce film, Malek Bensmaïl, qui avait consacré un excellent documentaire à un hôpital psychiatrique de Constantine (Aliénations, 2004), tient la chronique désenchantée d'une petite ville des Aurès, Ghassira, considérée comme le berceau de la révolution.
Le 1er novembre 1954, un couple d'instituteurs français y fut victime du premier attentat perpétré par les nationalistes algériens. Plus d'un demi-siècle plus tard, le réalisateur revient sur les lieux pour prendre la mesure du rêve d'émancipation et de justice qui naquit ici. Entre une carcasse de voiture, des égouts à ciel ouvert et une MJC fermée depuis belle lurette, le réalisateur suit particulièrement des personnages, parmi lesquels deux remarquables figures d'instituteurs.
En centrant son film autour de leur enseignement, en accusant la distance tragi-comique qui les sépare de leurs élèves (" lâche-moi avec les moudjahidin "), en questionnant de manière critique l'attentat perpétré contre leurs prédécesseurs français, en dévoilant en un mot la distance entre le mythe officiel et la réalité sociale du pays, Malek Bensmaïl réalise un film d'un courage, d'une sensibilité et d'une pertinence remarquables.
Jacques Mandelbaum
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