lundi 16 mars 2009

Les statues de la vente Bergé ont-elles vraiment été volées ? - Bernard Brizay

Le Monde - Horizons, lundi, 16 mars 2009, p. 16

Je suis un ami de la Chine et des Chinois et les Chinois me font l'honneur de m'accorder en retour leur amitié. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir du mal à comprendre leur réaction, lors de la vente chez Christie's, le 25 février, des deux têtes en bronze du Lapin et du Rat, provenant de l'ancien Palais d'été de Pékin, le Yuanmingyuan. J'ai tout d'abord tenté d'expliquer à mes interlocuteurs - sans grand succès - qu'il n'est pas établi que ces pièces provenant du Yuanmingyuan aient été volées par les troupes britanniques ou françaises en octobre 1860. Cela lors de l'expédition anglo-française qui a pillé, puis incendié une semaine plus tard - de par la faute des Anglais, il est bon de le préciser ! - l'ancien Palais d'été, la résidence favorite de l'empereur Xianfeng, le Versailles chinois, au nord-ouest de Pékin.

Dans tous les articles de la presse française, et bien entendu chinoise, il est communément admis que ces têtes ont bien été pillées, c'est-à-dire volées. Aucune preuve n'est avancée. En l'état actuel de nos connaissances, rien ne dit que ces deux pièces ont fait l'objet d'un vol qualifié, d'une prise de guerre, par un des deux alliés belligérants. Elles ont pu être vendues dans une boutique d'antiquités de la capitale chinoise. S'il advenait que ces têtes ont été légalement acquises par un particulier à Pékin, cela changerait les données du problème.

J'ai bien tenté d'exprimer ces réserves sur leur provenance aux journalistes chinois. Mais ceux-ci n'acceptaient le plus souvent que ce qui allait dans leur sens. A savoir que ces têtes avaient été volées. Et que, à ce titre, elles devaient être restituées " de droit " à la Chine, sans autre forme de procès. Accompagnées si possible d'excuses officielles pour le forfait commis. Comment leur faire comprendre qu'en matière de restitution, les choses étaient plus compliquées que cela ?

J'ai tenté également d'expliquer à mes interlocuteurs que la France est un pays démocratique, que sa justice est censée être indépendante et que le gouvernement français n'était nullement en mesure d'interdire cette vente aux enchères, comme les Chinois l'exigeaient, en invoquant son " illégalité ". Pour les journalistes chinois, cette non-interdiction s'apparente à un déni de justice, dont la faute incombe à notre gouvernement.

Un mur d'incompréhension sépare la France et la Chine. Les Chinois n'ont pas compris par exemple que le maire de Paris, M. Delanoë, ait fait le dalaï-lama citoyen d'honneur de la Ville de Paris. Pour eux, il s'agit d'une nouvelle provocation, d'un acte d'humiliation venant du gouvernement français. Il faut savoir qu'en Chine, le maire de Pékin est nommé par le gouvernement central. Je n'ai pas davantage réussi à leur faire comprendre que l'actuel maire de Paris n'est pas un ami politique de notre président de la République.

GESTE D'AMITIÉ

Pas plus que M. Delanoë, M. Bergé ne représente le régime actuel de la France. Que M. Bergé, que l'on dit appartenir à la gauche caviar, préfère le thé au beurre de yak tibétain, c'est son droit. Mais que la Chine - qui n'a pas pardonné à la France le fiasco de la traversée de Paris par la flamme olympique et à son président ses hésitations avant d'assister à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques - s'en prenne de nouveau à elle et à lui à propos de cette affaire paraît excessif.

Je le redis, j'eusse aimé que M. Bergé fasse cadeau de ces deux têtes à la Chine. L'acheteur chinois, M. Cai Mingchao, qui a dit refuser de payer son achat " au nom du peuple chinois ", a encore quelques jours pour concrétiser son engagement. Il est devenu dans un premier temps un héros en Chine. Mais il semble que les dirigeants chinois prennent maintenant leurs distances avec cette attitude, qui risque de desservir leur image. Je pose la question : quelle serait la victoire pour la Chine et les Chinois, si M. Bergé préférait garder les deux têtes, comme il l'a annoncé ? Si la Chine tient tant à récupérer ces deux têtes d'animaux, peut-être aurait-elle pu s'y prendre autrement.

Aujourd'hui, la France pourrait prendre l'initiative d'un autre geste d'amitié Proposer au gouvernement chinois et à la municipalité de Pékin d'ériger une statue d'Auguste Rodin représentant Victor Hugo - l'auteur d'une fameuse lettre connue de tous les Chinois, qui stigmatise les " deux bandits ", les " deux voleurs ", coupables d'avoir pillé le Palais d'été. Un tel geste ferait beaucoup pour réconcilier deux pays et deux peuples qui ont toutes les raisons de demeurer amis.

Bernard Brizay

Historien. Auteur du " Le Sac du Palais d'Eté : Seconde Guerre de l'Opium
" (éditions du Rocher, 2003), un ouvrage traduit en chinois

PHOTO - Palais d'été, 9 février 2009. Un couple traverse le lac gelé.

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