jeudi 19 mars 2009

LITTÉRATURE - Dai Sijie, le Paulo Coelho chinois - Yves de Kerdrel

Le Figaro, no. 20104 - Le Figaro Littéraire, jeudi, 19 mars 2009, p. LIT1

Il faudrait inventer une catégorie spéciale : les livres qu'on ne peut pas lire. Mais vraiment pas lire. Non pas les livres illisibles : Péguy, réputé illisible, est un de mes écrivains préférés de tous les temps et Ulysse, encore considéré ici ou là comme illisible, se lit d'une traite, en état de transe, dès qu'on cesse de se préoccuper de l'imbécile réputation qui l'accompagne. Je préfère ne pas trop parler de Finnegans Wake, parce que je passerais évidemment pour un sale petit prétentieux, mais enfin, j'en profite quand même pour préciser, ici, hop, en contrebande, que Finnegans Wake peut parfaitement être lu. Seulement il faut, eh oui, du temps, de la volonté, et surtout ce qui manque à la plupart des êtres humains : de la passion. Vous en êtes dépourvu ? Tant pis pour vous. Les consoles de jeu vous attendent - ou Guillaume Musso, ou Marc Levy, qui sont l'équivalent littéraire de ces jeux vidéo. Moi, un livre que je ne peux pas lire, c'est un livre que je ne peux, non pas intellectuellement, mais physiquement pas lire. Tourner une seule page d'un tel ouvrage me paraît plus difficile, plus impossible, plus douloureux que de rester cinq minutes sous l'eau ou que d'escalader la tour Eiffel sous une pluie battante. Vous pouvez par exemple me mettre un Raymond Chandler, un James Hadley Chase ou n'importe quel polar à portée de main, je mourrai sans l'avoir ne serait-ce qu'entrouvert. Ce n'est pas un manque de curiosité : mais c'est ma curiosité qui meurt au moment même où je feuillette ces tombeaux entrouverts. Sans la moindre provocation, je jure que je préfère lire un manuel de machine à laver ou une étiquette de pull-over qu'un SAS, un Quignard, un Mehdi Belhaj Kacem (l'écrivain le plus ridicule et le plus cuistre, le plus sinistre et le plus risible que compte aujourd'hui la France), un Angelo Rinaldi ou un Philip K. Dick. Je ne parle même pas de Lovecraft : une vieille grammaire d'allemand me passionne cent fois plus. Je préfère relire mille fois de suite Trois Contes de Flaubert (je dis bien : mille, hein, pas cent, pas cinq cents, je dis bien : mille) ou jusqu'à la fin de mes jours un seul poème de Ponge (mettons : Le Cageot) qu'un seul roman de Bernard Werber, de Lorette Nobécourt ou de Paulo Coelho. Ah ! Paulo Coelho, justement. Parlons-en : saviez-vous que la Chine en possédait un, de Paulo ? Il s'appelle Dai Sijie. Son nom vous dit sans doute quelque chose : il est l'auteur d'une bluette pour mamies dépressives, Balzac et la petite tailleuse chinoise, adaptée au cinéma par ses soins dans un style qui ferait passer un long-métrage de Gaël Morel pour du cinématographe. J'oublie Les Filles du botaniste, par charité pour les deux comédiennes qui s'y sont compromises et tentent, depuis lors, de rebâtir une carrière malgré tout. Le dernier opus romanesque de Dai Sijie est intitulé L'Acrobatie aérienne de Confucius, et si vous trouvez le titre mauvais (comme je vous comprends !), sachez que, de tout le livre, c'est (de loin) ce qu'il y a de meilleur. L'histoire ? Un souverain, au XVIe siècle, est tellement parano qu'il est perpétuellement entouré par quatre sosies. Le reste est anecdotique. Tourner les pages de ce livre, dont j'ignore, de nous deux, lequel a achevé l'autre lorsqu'est arrivée (telle la quille) la dernière page, a été pour moi une redoutable épreuve. Car nous voici une fois de plus dans le roman narratif raconteur avec trame impeccable, polie, courtoise, respectueuse du lecteur, policée jusqu'à l'os, affûtée, taillée comme un joli crayon.

Ce n'est pas un livre ennuyeux, mais un bloc d'ennui sous forme de livre. Je ne supporte plus, en littérature, le bien vu. Les petites sagacités, les petites astuces de narration, les petites feintes, les petites roublardises du récit. Les chausse-trappes bien troussées, les gentils coups de théâtre, les personnages bien historiques et superbement extrême-orientaux. Bref, c'est de la world littérature : de la Chine pour Français, des chinoiseries pour touristes littéraires. On n'est chinois que pour donner de la couleur locale à ce qui pourrait être brésilien ou ukrainien. C'est plein de Zin, de Zang, de thé au jasmin et d'allusions à Confucius, un peu comme Zeller Florian qui en appellerait à Nietzsche Friedrich. Pourtant, ici on ne pense pas, monsieur, non, on ne pense pas. On raconte diligemment son historiette de printemps, et ça ne déborde jamais, ça ne dégouline pas, ça brille comme un sou neuf. Et pourtant c'est mort. C'est tout pourri comme la mort.

L'Acrobatie aérienne de Confucius, 251 p.,19 eur.

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