En Chine, le pouvoir cherche à moraliser la fonction publique ; à Taïwan, l'ancien président est poursuivi pour détournement de fonds. Un point de vue singapourien.
Pour la plupart des Asiatiques, un gouvernement intègre reste encore du domaine du rêve. On s'aperçoit en effet que la corruption est l'ennemi numéro un dans bien des pays asiatiques, à l'exception de Singapour et de Hong Kong. On tond la laine sur le dos de la population, qui ne peut que ravaler sa colère et endurer tout cela en silence.
La Chine, qui vient de fêter ses trente ans de réformes et d'ouverture, se creuse la tête pour trouver les moyens d'éradiquer ce fléau. Le Premier ministre Wen Jiabao, qui a pour la première fois discuté en ligne avec des internautes chinois et étrangers le 1er mars dernier, a fait à cette occasion une déclaration importante : il a annoncé que la Chine rendrait obligatoire la déclaration de patrimoine pour tout agent de l'Etat [Wen Jiabao n'a en fait qu'apporté son soutien à cette mesure encore "à l'étude"]. "J'ai profondément réfléchi aux raisons pour lesquelles la population accordait tant d'importance à la lutte contre la corruption, en cette période cruciale où nous devons faire face à la crise financière, a-t-il dit. Je pense que le développement économique, l'équité et l'intégrité de l'Etat sont les trois poutres maîtresses de la stabilité sociale, et parmi ces trois éléments l'intégrité de l'Etat est primordiale."
Reste que, selon une enquête effectuée par le parlementaire Wang Jie, 97 % des fonctionnaires sont opposés à la publication de leur patrimoine. Cette réaction, qui n'a rien d'étonnant, est révélatrice de l'attitude des agents de l'Etat. Elle met également en évidence toute la gravité du phénomène et l'urgence qu'il y a à légiférer sur cette obligation de déclaration.
Des enquêtes réalisées par les sites officiels Renminwang (people.com.cn) et Xinhuawang (xinhuanet.com) attestent que la lutte contre la corruption et pour l'intégrité reste le sujet qui tient le plus à coeur à la population chinoise. Il s'agit là d'un défi difficile à relever pour les détenteurs du pouvoir.
La législation taïwanaise est très incomplète
Quand on parle de corruption, on pense naturellement à l'affaire dans laquelle sont impliqués l'ancien président (PHOTO) de la République taïwanaise Chen Shui-bian [en détention provisoire depuis novembre 2008] et son entourage. Selon les éléments de l'enquête, une centaine de proches de l'ancien chef de l'Etat auraient tiré parti de leurs relations avec lui, et plusieurs milliards de nouveaux dollars taïwanais (NDT) auraient été transférés à l'étranger. La famille Chen aurait ouvert des comptes bancaires dans une dizaine de pays et ses activités de blanchiment d'argent se seraient déployées sur les cinq continents. Avec ses seuls émoluments de président, comment Chen Shui-bian aurait-il pu accumuler de telles sommes au cours de ses huit années au pouvoir ? De toute évidence, la plupart des fonds transférés à l'étranger étaient de l'argent sale.
Chen Shui-bian a récemment reconnu devant la cour que, lors de la deuxième réforme financière, une banque qui voulait racheter un autre établissement avait offert 200 millions de NDT à l'ancienne première dame, Wu Shu-jen, pour "s'acheter une conscience". Ces grands scandales de notre siècle que sont les abus de pouvoir à des fins de prévarication font que les Taïwanais respectueux des lois perdent confiance en leur régime.
Ceux qui s'intéressent à l'affaire Chen Shui-bian trouveront à coup sûr curieux que les enquêteurs n'aient toujours pas réussi à établir la culpabilité de l'ancien président neuf mois après son départ du pouvoir et estimeront que les institutions judiciaires taïwanaises ne sont pas très efficaces. En fait, l'une des principales raisons pour lesquelles les choses traînent en longueur est la clémence excessive de la législation anticorruption à Taïwan. La loi taïwanaise stipule qu'il faut que les biens aient été acquis illégalement pour que le délit de corruption soit avéré. L'accusation doit pouvoir le prouver, sans quoi il est impossible de prononcer l'inculpation.
La législation taïwanaise présente une autre lacune grave : seul un fonctionnaire peut être accusé de malversations. Aussi l'épouse de Chen Shui-bian a-t-elle de grandes chances d'échapper à la justice bien qu'elle ait touché des pots-de-vin.
Comparées aux lois anticorruption de Singapour, celles de Taïwan présentent des insuffisances criantes. En vertu de la législation singapourienne, tout citoyen, qu'il soit ou non agent de l'Etat, peut être accusé de corruption s'il possède des biens qui ne sont pas en rapport avec ses revenus et s'il n'est pas capable de fournir des explications plausibles sur leur origine. Quiconque fournit des avantages à un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions peut être considéré comme cherchant à le corrompre, et les deux parties peuvent être jugées coupables. Pour garantir le respect scrupuleux des lois, les agents de l'Etat doivent faire une déclaration de patrimoine chaque année, en y incluant également les biens immobiliers de leur épouse. Rien que sur ce point, nous sommes en avance de plusieurs dizaines d'années sur la Chine.
Le dispositif anticorruption doit être très élaboré
Depuis sa création, en 1952, le Bureau d'enquête sur les pratiques de corruption (CPIB) a élucidé plusieurs affaires de malversations, incriminant jusqu'à des ministres. J'estime que la principale réussite de cette unité spéciale est d'avoir instauré dans la société une culture anticorruption qui garantit un gouvernement intègre. Cette culture fait que les citoyens sont conscients que la corruption est une pratique honteuse, qui ne peut être admise ni dans la fonction publique ni dans la société dans son ensemble. De ce fait, elle empêche efficacement les malversations. Les agents de l'Etat sont conscients que, si jamais ils sont reconnus coupables de corruption, ils perdront leur emploi et seront passibles de lourdes sanctions pénales, dont l'emprisonnement. De plus, ils seront radiés à vie de la fonction publique.
Selon moi, l'élaboration d'une culture anticorruption nécessite deux conditions : tout d'abord que les dirigeants aient des convictions solides dans ce domaine et ensuite que la corruption soit considérée comme un crime grave et soit sévèrement réprimée. En d'autres termes, le dispositif anticorruption doit être très élaboré et les unités chargées de faire appliquer les lois doivent être dotées de pouvoirs forts. La capacité de nos dirigeants à bien anticiper les évolutions futures a permis à notre société de se doter d'une culture anticorruption d'une importance capitale, ce dont les habitants de Singapour doivent se réjouir.
De tout temps, la corruption des classes dirigeantes a été à l'origine de désordres parmi la population. Les maux qui en découlent, comme la collusion entre le monde des affaires et la fonction publique ou le recours des pouvoirs publics à des fonds occultes, sont susceptibles de provoquer le mécontentement de l'opinion publique et donc des troubles sociaux pouvant conduire à la chute des dirigeants. Il s'agit là du principe selon lequel l'eau permet de faire flotter un bateau, mais peut aussi le faire chavirer...
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