Le livre du jour - Le retour des empires flexibles
LA MONDIALISATION fait partie de ces phénomènes dont on a l'impression qu'ils sont sans précédent. Dans La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, en 1949, Fernand Braudel (1902-1985) montrait que l'espace se définissait plus par des flux marchands que par le contrôle des territoires. A la lumière de cette idée force, François Gipouloux renouvelle l'approche du retour en force de l'Asie dans le jeu mondial. Il relativise la mondialisation en la plaçant dans une continuité historique et met à mal un européocentrisme tendant à voir en Asie un simple contre-point de l'Europe.
Il ne s'agit pas pour l'auteur de La Méditerranée asiatique : villes portuaires et réseaux marchands en Chine, au Japon et en Asie du Sud-Est, XVIe-XXIe siècle de plaquer sur l'Asie la thématique braudélienne mais d'en retirer " la puissance métaphorique ". Il entend ainsi montrer comment s'est constitué un corridor maritime articulé sur les bassins interconnectés des mers du Japon, de Chine et des Célèbes en " reliant entre eux des éléments dont la chaîne de connexion semblait rompue ".
L'approche avait des précurseurs. Mais François Gipouloux est original en ce qu'il inscrit l'Asie de ce début du XXIe siècle dans des temporalités croisées entre micro-histoire et Histoire. En basculant de son assise continentale, autarcique, vers l'Asie maritime, la Chine renoue par exemple avec la tradition des grandes expéditions maritimes jusqu'à l'Afrique de l'Est.
L'auteur évite le travers du brasseur d'idées surfant sur l'Histoire pour construire pied à pied la généalogie des deux phénomènes majeurs de l'émergence de l'Asie contemporaine : la diffusion du modèle d'industrialisation japonais à la faveur des délocalisations provoquées à partir de 1985 par la flambée du yen, et l'irruption de la Chine dans l'économie mondiale. Il met en lumière la cohérence de vastes zones économiques transnationales aux maillages multipolaires dans lesquelles l'Etat-nation n'est plus le fil conducteur.
La mondialisation, estime-t-il, favorise le retour des " empires flexibles " qui jouent de réseaux dont les noeuds stratégiques sont les puissances financière et technologique et dont les flux échappent aux outils statistiques conçus pour les espaces nationaux. Une problématique étayée de sources chinoises et japonaises qui, évitant les envolées visionnaires, aide à comprendre ce qui se joue dans cette Méditerranée asiatique.
Philippe Pons
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