Ariana Eunjung Cha
The Washington Post (Washington)
La production du polysilicium nécessaire aux cellules photovoltaïques est très polluante. La Chine en fait l'expérience.
La première fois que Li Gengxuan a vu les camions-bennes de l'usine voisine entrer dans son village, il n'en a pas cru ses yeux : s'arrêtant devant les champs de maïs et la cour de l'école, les ouvriers ont déversé sur le sol des seaux d'un liquide blanc bouillonnant, après quoi ils ont fait demi-tour et sont repartis sans un mot là d'où ils venaient. Et, depuis neuf mois, affirment M. Li et d'autres villageois, ce rituel se répète quasiment tous les jours.
Comme la Chine est engagée dans une course effrénée à la croissance industrielle, les cas de pollution de l'environnement n'y sont pas rares. Mais l'entreprise Luoyang Zhonggui High Technology, installée dans les plaines centrales de la province du Henan, non loin du fleuve Jaune, se distingue des autres pollueurs sur un point : son coeur de métier est lié à l'environnement. Elle fabrique en effet du polysilicium pour les panneaux solaires du monde entier ; ce faisant, elle produit du tétrachlorure de silicium, une substance très toxique. "La terre sur laquelle vous déversez ce produit devient stérile. Ni l'herbe ni les arbres ne repoussent. [...] C'est de la dynamite ! Toxique, polluant ! Il ne faut surtout pas le toucher", souligne Ren Bingyan, professeur à l'Ecole de science des matériaux de l'Université industrielle du Hebei.
Avec l'envolée des prix du pétrole et du charbon, le recours à d'immenses fermes solaires pour réchauffer l'eau et produire de l'électricité est à nouveau tentant. Mais, depuis quatre ans, une pénurie de polysilicium - le composant de base des cellules photovoltaïques, qui captent les rayons solaires et les transforment en électricité - accroît le coût de la technologie solaire et nuit à son développement. Le cours du polysilicium ayant lui-même grimpé de 20 dollars le kilo à 300 dollars en l'espace de cinq ans [avec la crise économique, il est retombé à environ 150 dollars début 2009], les entreprises chinoises se sont jetées sur le créneau. Les usines de polysilicium vivent la même situation que les start-up du web voici peu. Bénéficiant d'une abondance de capital-risque et de généreux dons et prêts bonifiés provenant d'un gouvernement clamant son intérêt pour l'énergie propre, plus de vingt entreprises chinoises se sont lancées dans la production de polysilicium. Leur capacité de production prévue est de l'ordre de 80 000 à 100 000 tonnes, soit plus du double de la production mondiale actuelle, qui s'élève à 40 000 tonnes.
Les méthodes des entreprises chinoises pour traiter les déchets n'ont pas été améliorées dans le même temps. Dans les pays développés, les fabricants de polysilicium remédient aux risques environnementaux liés à ce composé en le recyclant lors du processus de production. Mais les importants coûts d'investissement ont découragé de nombreuses usines chinoises d'en faire autant.
L'an dernier, l'usine Luoyang Zhonggui a produit moins de 300 tonnes de polysilicium, mais elle prévoit d'en fabriquer dix fois plus cette année, ce qui en fera la plus grande usine chinoise du secteur.
La production d'une tonne de polysilicium génère au moins quatre tonnes de tétrachlorure de silicium, un déchet liquide. Exposé à l'air humide, ce composé dégage du chlorure d'hydrogène, qui peut provoquer des troubles respiratoires en cas d'inhalation.
Alors qu'il faut généralement deux ans pour construire une usine de polysilicium et faire en sorte qu'elle fonctionne correctement, de nombreuses entreprises chinoises tentent d'y parvenir en moitié moins de temps, souligne Richard Winegarner, président de Sage Concepts, un cabinet de conseil basé en Californie. Pour ce faire, certaines stockent les substances dangereuses en espérant pouvoir un jour trouver le moyen de les éliminer. Mais d'autres entreprises, comme Luoyang Zhonggui, préfèrent déverser leurs déchets là où elles peuvent.
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