lundi 9 mars 2009

THEATRE - Le réveil de la Chine, à la Lepage (Québec)

Le Droit - Arts & spectacles, samedi, 7 mars 2009, p. A4

Le dragon s'est réveillé. En Chine, comme dans ce formidable creuset de créativité qu'est la caserne Dalhousie, à Québec, siège de la compagnie de théâtre Ex Machina, où surgissent du néant les univers fantasmagoriques mis en scène et en images par Robert Lepage. Pour l'auteur et metteur en scène, la tentation était forte, 25 ans après avoir clos la Trilogie des dragons, et alors que la Chine rugit de toute la force de sa puissance économique nouvellement retrouvée, de chevaucher à nouveau l'ultime dragon, Le Dragon bleu. Voilà, c'est fait. Rendez-vous au théâtre du Centre national des arts, la semaine prochaine, pour le voir et l'entendre cracher son feu.

À vrai dire, Robert Lepage ne pensait pas pousser plus loin les chimères qui ont accompagné ses premiers pas dans l'univers du théâtre et l'ont lancé en orbite vers la célébrité. Mais le réveil de la Chine, et la reprise, en 2003, de la Trilogie, ont ouvert un espace où sa curiosité d'artiste ne pouvait manquer d'être attirée.

"Dans ma tête, la Trilogie est bel et bien refermée. Le Dragon bleu n'en est pas la suite, mais un 'épisode dérivé', comme on le fait pour des téléromans. Dans l'épisode final de la Trilogie, le personnage de Pierre Lamontagne, qui est mon alter ego, recevait une bourse pour aller étudier en Angleterre, avec l'espoir de se rendre ensuite en Chine. J'étais juste intrigué, compte tenu de l'ouverture spectaculaire de la Chine au début du xxiesiècle, d'aller voir ce qu'il était advenu", explique au bout du fil Robert Lepage, à qui j'ai volé une trentaine de minutes dans un agenda où chaque seconde est précieuse. Mais loin de donner l'impression d'être stressé ou ennuyé par ces questions à répétition que lui posent les journalistes, Robert Lepage est d'une patience exemplaire et d'une disponibilité, compte tenu de son statut de vedette planétaire de la mise en scène, qui témoigne de ses qualités de coeur autant que d'artiste.

Le Dragon bleu

Le Dragon bleu, selon la cosmogonie chinoise, correspond à l'hiver et symbolise l'état de dormance sous la neige, semblable à la mort, avant la renaissance. Pour Lepage, il évoque l'âge des bilans, des choix, au seuil du second âge de la vie. Pierre Lamontagne, la cinquantaine amorcée, est confronté aux changements radicaux qui ont transformé la Chine, depuis les 25 années où, à titre de galériste, il a aidé de jeunes artistes chinois à libérer leur créativité et à commercialiser leurs oeuvres.

"La pièce parle du paradoxe de la Chine d'aujourd'hui, qui demeure un pays communiste, mais qui adopte, à la vitesse grand V, les pratiques les plus capitalistes qui soient. La génération d'enfants uniques a engendré des citoyens égocentriques, qui ne pensent qu'à l'argent. Or, Pierre Lamontange était allé en Chine pour y servir une cause. Partisan du socialisme, il était attiré par l'immense culture immuable de la Chine et le voilà maintenant rattrapé par le capitalisme. Il est allé au bout de ses ambitions, et vit une grande déception, la perte de ses idéaux, alors que la publicité déteint sur l'art", explique l'auteur.

Robert Lepage ne cache pas que le fait de revisiter, symboliquement, la Chine et ses dragons correspond aussi, pour lui, à une forme d'aboutissement, l'arrivée à une croisée des chemins. "Comme ma co-auteure, Marie Michaud, je suis au mitan de mon âge. Et, forcément, je suis en plein questionnement. J'ai acquis une certaine notoriété, j'ai les outils, les ressources, les agents et le réseau autour de moi pour faire ce que je veux. Je jouis d'une grande liberté, mais gérer le succès, c'est aussi vertigineux", confesse-t-il.

"La pièce parle du paradoxe de la Chine d'aujourd'hui, qui demeure un pays communiste, mais qui adopte, à la vitesse grand V, les pratiques les plus capitalistes qui soient."

Lui, dont les spectacles reposent sur un impressionnant arsenal technologique la caserne a ses propres "Q" pour lui inventer des deus ex machina en vue de chaque spectacle reconnaît avoir fait des erreurs dans le passé, le créateur ayant été écrasé par sa créature technologique. "J'ai cru que le public me suivrait, mais il était plus fasciné par la technologie en scène que par le propos. Au fond, le théâtre remonte au moment où l'homme a inventé le feu et fait des ombres chinoises pour appuyer ce qu'il racontait. On a remplacé le feu de joie ou le feu de camp par des projecteurs. J'ai compris que la technologie ne doit pas éclipser le propos, il faut savoir extraire la poésie de ces trucs électriques et électroniques."

Porter sur ses épaules les espoirs et les attentes du public et de la critique, ça aussi, c'est lourd.

Mais il avoue avoir atteint une zone de calme, par rapport à cet aspect du métier. "Au début, j'étais flatté des bonnes critiques, j'avais soif de reconnaissance. Et, quand tu l'obtiens, tu en souffres parce que la notoriété crée des espoirs démesurés. Maintenant, je vis cela plus calmement, je fais des spectacles pas toujours réussis, mais les gens sont plus indulgents, ils voient le sérieux de ma démarche. Ce qui compte seul pour moi, c'est de toujours me mettre en danger, pour continuer de grandir et d'apprendre."

MARTHE LEMERY

POUR Y ALLER

Quoi? Le Dragon bleu, de Robert Lepage et Marie Michaud. Mise en scène: Robert Lepage. Avec Tai Wei Foo, Robert Lepage et Marie Michaud

Où? Au Théâtre du CNA

Quand? Du 10 au 14mars, à 19h30

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