Joseph Stiglitz, Prix Nobel d'économie, est formel : les gouvernements doivent coordonner leur action et prendre le contrôle de la finance mondiale. Il dresse le catalogue des réformes fondamentales qui s'imposent.
Chefs d'Etat et penseurs du monde entier ne cessent de débattre depuis des années des défauts de l'organisation financière internationale et des déséquilibres économiques. Beaucoup craignaient les effets d'un rééquilibrage désordonné. Mais rien n'a été fait. Et nous payons aujourd'hui le prix de cette inaction. Il y a dix ans, on redoutait que les troubles financiers des pays en développement ne s'étendent aux pays industrialisés. Et nous voilà aujourd'hui en plein coeur d'une crise made in USA qui menace la planète. Si nous entendons traiter cette crise mondiale et éviter qu'elle ne se répète, c'est tout le système financier mondial qu'il nous faut réformer et repenser. Les interdépendances sont tout simplement trop nombreuses pour que chaque pays puisse mener sa barque isolément.
Pour contribuer à redynamiser la croissance, des plans de relance coordonnés à l'échelle internationale s'imposent. Il faut se féliciter que la Chine, les Etats-Unis et le Japon aient désormais lancé de vastes programmes d'expansion budgétaire. Reste que ces programmes sont d'une ampleur très variée et que l'Europe, pour l'heure, traîne les pieds pour en faire autant.
Au-delà de ces considérations, la pleine confiance dans les marchés financiers ne reviendra pas tant que les gouvernements n'assumeront pas un rôle plus fort en matière de réglementation des institutions financières, des produits financiers et des mouvements de capitaux. Les banques ont montré leur incapacité à gérer les risques de leurs propres activités. Il nous faut aujourd'hui un organe mondial de réglementation financière afin de surveiller et d'évaluer les risques systémiques. En tolérant l'existence de grandes disparités entre les réglementations financières de chaque pays, on court le risque d'une course au moins offrant : certains s'orienteront vers des règles plus souples afin d'attirer les établissements financiers aux dépens des autres pays.
Quelle doit être la teneur de ce nouvel ensemble de règles financières mondiales ? Cette réglementation doit tout d'abord veiller à ce que les systèmes de primes aux dirigeants soient transparents et n'aient pas pour effet pervers d'encourager la fraude comptable, le laxisme ou les prises de risque excessives. Nous devrions exiger à tout le moins une plus grande transparence des stock-options. Il faut également restreindre la gamme potentielle de conflits d'intérêts - comme les agences de notation rémunérées par ceux-là mêmes qu'elles notent. Il importe de limiter l'endettement et les autres comportements à risque. La normalisation des produits financiers permettrait d'améliorer la transparence. Et des commissions chargées de la stabilité et de la sécurité de ces produits financiers pourraient donner leur avis sur les produits que les institutions peuvent utiliser sans risque. Les gouvernements doivent entreprendre aux moins deux autres actions. Tout d'abord, la réforme de l'organisation mondiale des banques centrales. Il y a près de quatre-vingts ans, John Maynard Keynes, le plus grand économiste de sa génération, écrivait déjà qu'une banque centrale mondiale était nécessaire à la stabilité financière et à la prospérité du monde. Keynes espérait que le Fonds monétaire international créerait une nouvelle monnaie de réserve internationale que détiendraient les pays au lieu de la livre sterling (qui était alors une monnaie de réserve). Aujourd'hui, cette devise internationale pourrait remplacer le dollar, monnaie de réserve de facto ; n'étant plus soumise aux accidents de conjoncture d'un pays ou d'un groupe de pays, elle serait bien plus stable. Son émission serait régie par des règles simples, avec notamment des sanctions contre les pays conservant de façon prolongée des réserves trop importantes. Cette idée pourrait bien avoir trouvé aujourd'hui toute sa pertinence.
La seconde grande réforme consisterait en un nouveau système de gestion des faillites transfrontalières. Aujourd'hui, la faillite d'une banque ou d'une autre entreprise dans un pays donné peut avoir des conséquences planétaires. Quand plusieurs systèmes juridiques sont applicables, il faut parfois des années pour démêler l'écheveau. C'est le cas de la faillite toujours irrésolue de l'Etat argentin en 2001. Aujourd'hui, les banqueroutes en tout genre sont en passe de se multiplier partout dans le monde, et il nous faut un meilleur moyen de les gérer.
Cette crise a mis en lumière non seulement l'étroitesse des interdépendances entre tous les pays, mais aussi les lacunes des institutions existantes. Le FMI, par exemple, s'est distingué par plus de belles paroles que d'action face aux déséquilibres mondiaux. Alors que, à l'échelle du monde, les problèmes de gouvernance sont vus comme un obstacle au développement, les lacunes dans la gouvernance du FMI lui-même sapent grandement la crédibilité de ses sermons : ses conseils - en particulier ceux encourageant la déréglementation - sonnent bien creux aujourd'hui.
Nous arrivons à un tournant du type Bretton Woods : le moment est venu de réformer radicalement les institutions existantes ou, comme on l'a fait à la fin de la Seconde Guerre mondiale, d'en créer de nouvelles. Jusqu'à présent, Washington s'est toujours opposé à toute velléité de créer un système financier mondial et multilatéral qui soit stable et équitable. Les Etats-Unis ont exporté cette doctrine de la déréglementation qui s'est révélée si néfaste, aussi bien pour eux-mêmes que pour le reste du monde. Une occasion de changer tout cela se présente aujourd'hui au nouveau président, Barack Obama. De sa réaction dépendront beaucoup de choses, aujourd'hui et dans les décennies à venir.
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