La révolution est, discrètement, en marche. Longtemps hostile aux opérations de maintien de la paix de l'ONU, perçues comme un instrument d'ingérence aux mains des grandes puissances, la Chine a considérablement augmenté ses contributions de troupes ces six dernières années. Avec près de 2 150 casques bleus, le déploiement chinois est désormais comparable à celui de la France et bien supérieur à ceux du Royaume-Uni, de la Russie et des Etats-Unis. Aujourd'hui, des casques bleus chinois construisent des routes au Darfour, soignent des enfants au Liberia ou contrôlent des foules à Haïti.
" La Chine est préoccupée par son image ", estime Adam Segal, spécialiste du dossier au Council on Foreign Relations, centre de recherche américain. En réponse aux discours sur la " menace chinoise ", le pays cherche, selon l'expert, " à rassurer le reste du monde sur le caractère pacifique et responsable de sa montée en puissance ". Accusée d'extraire sans vergogne, en Afrique, les matières premières qui alimentent sa croissance, la Chine s'offre ainsi, selon Richard Gowan, chercheur au Center on International Cooperation, " une publicité facile et bon marché - pour - maintenir de bonnes relations avec l'Afrique ".
Ce regain d'intérêt de Pékin pour l'ONU tombe à point nommé. L'organisation menace d'être submergée par les demandes qui pèsent déjà sur les 115 000 personnes qu'elle a déployées dans 18 missions, principalement en Afrique. Elle ne peut guère compter sur la participation des pays occidentaux, très impliqués en Afghanistan ou dans les Balkans, sous l'égide de l'OTAN. Dans ce contexte, selon un récent rapport du centre de réflexion International Crisis Group, la Chine peut déployer " précisément le type de casques bleus dont les missions de l'ONU manquent " et apporter " un soutien politique inestimable " en faisant jouer sa proximité avec des régimes comme celui du Soudan, qu'elle a pressé d'accepter une mission de l'ONU.
" On ne peut que se féliciter de cette tendance ", explique Alain Le Roy, le chef des opérations de maintien de la paix de l'ONU, qui loue " le travail remarquable " des casques bleus chinois, souvent mieux disciplinés et entraînés que la moyenne. La contribution de la plus grosse armée du monde reste toutefois " modeste au regard de son potentiel ", note le diplomate français. La Chine figure au 15e rang des pays contributeurs de troupes de l'ONU, loin derrière le Pakistan, l'Inde, le Bangladesh ou le Nigeria. Et Pékin ne paye que 3 % des 7 milliards de dollars (5,3 milliards d'euros) annuels alloués aux opérations de maintien de la paix, contre 26 % pour Washington, 7,8 % pour Londres et 7,4 % pour Paris.
Par ailleurs, la Chine déploie des unités non combattantes (police ou génie), ainsi que des moyens médicaux, mais sans fournir les troupes de combat ou les moyens aériens qui manquent cruellement à l'ONU en République démocratique du Congo (RDC), au Darfour ou au Tchad. " Ils nous testent, de manière concluante pour l'instant, avec, comme partout, plus d'enthousiasme du côté du ministère des affaires étrangères que de celui de la défense ", poursuit M. Le Roy.
Les principes de non-ingérence et de respect de la souveraineté des Etats restent des piliers de la politique étrangère de la Chine, qui n'hésite pas à les invoquer pour bloquer toute action du Conseil de sécurité sur la Birmanie, le Zimbabwe ou le Sri Lanka. " Je suis sceptique sur l'importance stratégique de l'engagement chinois dans le maintien de la paix ", explique Richard Gowan, à la New York University.
En privé, des responsables onusiens admettent que les casques bleus chinois ont parfois tendance à " s'isoler " et peinent à communiquer en français ou en anglais. Ils sont réticents à sortir de " leur zone de confort ", de peur de " perdre la face si les choses tournent mal ".
En désertant les opérations de l'ONU, après les tragédies des années 1990 au Rwanda ou en Bosnie, les pays occidentaux ont laissé un vide que s'apprêtent à combler la Chine, mais aussi la Russie, qui promet à son tour de fournir davantage de casques bleus. " Pendant longtemps, la Chine est restée dans sa toile comme une araignée qui ne bougeait pas, sauf sur la question de Taïwan ", estime Elisabeth Lindenmayer, la directrice du programme des Nations unies de l'université de Columbia. " Elle est devenue un membre du Conseil de sécurité qui compte ", ajoute l'ancienne collaboratrice de Kofi Annan.
Philippe Bolopion
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