C'est une histoire de thé, une histoire d'avidité, une histoire de bulle spéculative. C'est une histoire chinoise : il était une fois le thé pu'er, cultivé depuis la dynastie Tang (618-907) dans la province du Yunnan (sud-ouest de la Chine). Sous l'impulsion de dégustateurs ou d'hommes d'affaires de Hongkong et de Taïwan attirés par les vertus de ce thé connu pour ses propriétés digestives et anti-cholestérol, le pu'er est devenu " le thé " à la mode dans les " chaguan " (maisons de thé) de Pékin ou Shanghaï.
La fièvre a fait monter la température de tous les esprits dans cette lointaine " préfecture autonome daï du Xishuangbanna ", située aux frontières du Laos et de la Birmanie : les agriculteurs se sont mis à produire à un rythme effréné, les négociants ont acheté à tour de bras, les commerçants ont stocké des tonnes de thé. Entre 1999 et 2007, le prix de la " brique " de thé (357 grammes) a décuplé. " Le pu'er se vendait plus cher que l'or ", sourit Chen Ying, une ancienne expert-comptable reconvertie dans la production de Camellia sinensis (nom savant du thé de Chine, dont l'origine est au Yunnan) dans le district de Menghai.
Mais tout le monde a déchanté à la récolte de printemps 2008. La " bulle " a crevé, les cours se sont effondrés et un kilo de pu'er de piètre qualité, qui pouvait s'échanger à 250 euros au plus fort de la fièvre, peut se négocier, aujourd'hui, à un dixième de sa valeur de 2007... Même si les meilleurs thés, ceux provenant de théiers âgés et dont la fermentation lente et naturelle donne les thés les plus subtils et les plus rares, ont moins subi les effets de cette crise, leurs prix ont tout de même diminué de moitié.
A Jinhong, capitale de cette préfecture peuplée en majorité de membres de l'ethnie daï, Li Mingguo et son mari allemand Joseph, biologiste de formation, estiment cependant que la chute des cours contribue à un sain retour à la réalité. Pour Mme Li, qui possède des plantations à Bangzhan, sur la frontière birmane, tout en s'occupant avec son époux d'un centre de recherche et de développement sur le pu'er, " les fluctuations auxquelles nous avons assisté sont normales : jamais auparavant le thé n'avait été produit en si grande quantité. Alors, d'un seul coup, les prix se sont mis à grimper et la fièvre s'est propagée. On est aujourd'hui revenu dans une fourchette raisonnable ".
Il faut cependant distinguer plusieurs sortes de pu'er et les puristes sont là-dessus intraitables : il y a le thé cultivé dans le cadre d'une culture extensive à grands renforts de pesticides et dont le processus de fermentation est interrompu artificiellement. Et puis il y a les meilleurs " crus ", produits d'une culture écologique : ils acquièrent tous leurs arômes au fur et à mesure d'une fermentation naturelle qui fait évoluer le goût un peu astringent d'un thé pâle à celui plus " rond " d'un thé de couleur ambrée. " Les fermiers doivent comprendre qu'il va aujourd'hui de leur intérêt de cultiver un thé dans un environnement exempt de pesticides et respectueux de la biodiversité ", explique Li Mingguo.
C'est un village reculé, situé dans les montagnes de Nannuoshan. Les premières pluies viennent de s'abattre sur la préfecture, des écharpes de nuages glissent entre les collines couvertes de jungle. Pour ce vieux fermier appartenant à une autre minorité ethnique, les Ani, dont beaucoup vivent au Laos voisin, " la vie, ici, est facile ". " On ne s'est jamais posé beaucoup de questions, nos ancêtres nous avaient légué les vieux théiers. Et on s'est mis à vendre au prix fort nos productions. Jusqu'à 200 yuans le kg ! - environ 21 euros - . Dans le village, on a tous acheté des voitures... " " Mais, aujourd'hui, explique-t-il en préparant un pu'er de couleur jaune, léger et agréablement aromatisé, on a du mal à négocier la même quantité pour 120, voire même 80... J'ai des voisins qui ont été obligés de revendre leurs voitures ! " L'homme n'est pourtant pas trop inquiet : " Nous, on fait du thé naturel, sans pesticides. Ce sont les grandes usines qui ont été les victimes de la chute des prix. "
A Jinhong, dans les cercles des fondamentalistes du " pu'er pur ", on murmure que l'hôpital psychiatrique local accueille depuis plusieurs mois les épouses de patrons de ces usines, soignées pour dépression depuis la faillite du business de leurs maris. Dans le district de Menghai, quarante entreprises ont mis la clé sous la porte en 2008. Autour de Pu'er, la ville plus au nord qui a donné son nom à la plante de tous les rêves, soixante ont connu le même sort.
A Menghai, la jeune négociante Yi Haizhu montre des sacs dans son arrière-boutique : " J'en ai pour 1 million de yuans là-dedans. Tout le monde est très affecté. Le thé, c'est le pilier de l'économie locale... "
Mais tout n'est pas perdu dans le pays de l'or vert : déjà, des spéculateurs venus de Pékin ou Shanghaï sont revenus dans la région et, en raison d'une sécheresse durable, les prix pourraient bien remonter. La région risque cependant de connaître d'autres difficultés : la culture extensive de l'hévéa, qui a défiguré depuis des années une partie de la forêt tropicale, menace un autre pilier de l'économie au moment où les cours du caoutchouc sont en train eux aussi de chuter pour cause de crise financière internationale...
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PHOTO - Chongqing, mars 2007 / Getty Images
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