Juste après Pâques, le cardinal de Hongkong a pris sa retraite, à 77 ans. Mais au grand dam des autorités chinoises, cet « agent de l'étranger » ne désarme pas, décidé à « consacrer tout (son) temps à la situation de l'Église de Chine ».
Il n'a reçu aucun prix Nobel et n'en recevra sans doute jamais, et pourtant certains l'appellent le « Desmond Tutu asiatique ». Et ce surnom suffit à donner des poussées d'urticaire au régime de Pékin. La comparaison avec la flamboyante figure de la lutte contre l'apartheid sud-africain suggère un verbe fort et un tropisme pour la défense des droits de l'homme. Tout cela fait sourire Mgr Zen, dont le souci principal est d'être un « juste » et de se battre inlassablement pour que tous les catholiques de Chine communient un jour dans une seule et même Église.
Au lendemain de Pâques, le cardinal de Hongkong a pris sa retraite. « Je l'ai demandée à 75 ans et le Vatican l'a refusée, je l'ai demandée de nouveau à 76 ans et cela a de nouveau été refusé, s'amuse-t-il. Aujourd'hui, j'ai 77 ans et la troisième demande a été la bonne... » Mais, au grand dam des autorités chinoises, il ne désarme pas pour autant. Au contraire. « Je vais retourner enseigner la philosophie au séminaire, explique-t-il, et surtout je vais pouvoir consacrer tout mon temps à la situation de l'Église de Chine. » Si le pape Benoît XVI l'a nommé cardinal en mars 2006, c'est bien pour signifier qu'il en faisait son informateur privilégié, son grand conseiller sur la question chinoise, dont il a fait une priorité.
De fait, Mgr Zen lit, reçoit, écoute beaucoup. Il est une vigie sur ce rocher étrangement accroché au flanc de la grande Chine. Hier dans son bureau du diocèse perché au-dessus des tours du quartier de Central dédiées au culte du dollar, demain derrière les murs discrets du séminaire du Saint-Esprit d'Aberdeen, des dizaines de voyageurs, d'émissaires, de témoins se sont pressés et se presseront pour raconter la vie de l'Église chinoise. Quand l'évêque a annoncé sa retraite, à Noël dernier, le vice-président et porte-parole de fait de l'Association patriotique - qui chapeaute l'Église « officielle » - a immédiatement fait savoir que le prélat devait changer d'« approche ». Liu Bainian a averti que si Joseph Zen « insistait dans sa manière de penser », cela ne serait pas « dans l'intérêt des progrès de la relation entre la Chine et le Vatican ». À Pékin, on n'hésite pas à le traiter d'« agent de l'étranger ».
Mgr Zen est aujourd'hui interdit de séjour en Chine. Né dans une famille de la bonne bourgeoisie de Shanghaï, le jeune Joseph a rejoint le séminaire de Hongkong en 1948, quelques mois avant que les communistes ne prennent le pouvoir à Pékin. Ordonné prêtre en Italie en 1961, il est revenu à Hongkong trois ans plus tard. En 1971, en pleine folie maoïste de la Révolution culturelle, il reçoit l'autorisation de rendre visite à sa famille à Shanghaï. Ce Salésien y retournera au début des années 1980. « De 1989 à 1996, j'ai enseigné dans des séminaires officiels en Chine, environ six mois par an, raconte-t-il. J'y ai gardé beaucoup d'amis, je connais leur situation. »
Sur le lien entre Pékin et Rome, et même s'il n'est guère du genre à se laisser gagner par un pessimisme paralysant, l'homme d'Église ne se satisfait pas des apparences. « Selon moi, il n'y a pas de réels progrès, seulement des avancées de façade. Si vous allez en Chine, vous voyez des églises ouvertes, rénovées ou nouvellement bâties, vous voyez des gens chanter, explique-t-il, mais la foi doit être vécue au sein de l'Église, pas sous le contrôle d'un parti. La réelle liberté religieuse n'existe pas. » Le problème est celui du contrôle des quelque 12 millions de catholiques de Chine. « Beaucoup de choses sont acceptées en Chine, à la seule condition que cela se fasse sous la tutelle du Parti », confie un prêtre. La situation des catholiques s'est améliorée au fil des années, malgré des contrastes selon les provinces, et même si Pékin envoie régulièrement des signaux de fermeté en embastillant ici un curé, en fermant là un lieu de culte « souterrain ». Au début du mois, le Vatican a déploré la « nouvelle arrestation » de M. Giulio Jia Zhiguo, évêque non officiel de Zhengding, dans le Hebei, près de Pékin. C'est la 13e fois qu'il a des ennuis avec la police depuis 2004, selon Rome.
La normalisation des relations diplomatiques entre la Chine et le Vatican est une vieille affaire dont on parle depuis 1999. Dans les années 2005-2006, la dynamique paraissait favorable. Puis il y a eu la fameuse lettre du Pape en 2007, la même année où une « commission spéciale Chine » était créée au Vatican. Après, l'élan s'est cassé. Le contrôle a commencé à se resserrer avant les JO et cela a continué depuis. Selon le cardinal Zen, le Pape a fait sa part du chemin. « Il a été très généreux, compréhensif, ouvert au dialogue et il a fait des concessions fortes, affirme-t-il, il a reconnu la quasi-totalité des évêques nommés par les autorités chinoises ». Seuls cinq ou six évêques sur une grosse cinquantaine ne sont pas reconnus par le Vatican.
Avec son franc-parler, le cardinal se permet au passage de remonter un peu les bretelles aux évêques chinois. « Cette généreuse reconnaissance du Pape devrait les pousser à être plus courageux. Or, ils restent trop aux ordres, ils manquent de courage. » Les vieux évêques ont disparu, et la jeune génération serait soit plus agressive, soit plus manipulable. « Le pouvoir essaie de les acheter avec de l'argent », dit le cardinal. « Certains vont dire que mes critiques sont faciles, alors que je vis dans un environnement libre à Hongkong, poursuit-il, mais je me permets de parler ainsi justement parce que la Chine a évolué, que le pays est plus ouvert, qu'il y a plus de liberté de mouvement par exemple. Les évêques ne doivent pas avoir peur de relever la tête. » Récemment, le cardinal a encore pris la plume pour dénoncer ce qu'il considère comme une provocation de Pékin. Le 19 décembre dernier, une cérémonie a été organisée au Palais du peuple pour fêter le 50e anniversaire des ordinations « indépendantes » pour Pékin, « illégitimes » selon Rome, car sans nomination par le Pape.
Joseph Zen sait qu'il ne fait pas l'unanimité, y compris dans le clergé local et dans les couloirs du Vatican. Certains le trouvent « trop politique », « trop négatif ». Mais le bouillant cardinal pense que beaucoup sont heureux qu'il dise tout haut ce qu'ils vivent en silence. Et il jouera ce rôle d'empêcheur de museler en rond jusqu'au bout. À 77 ans, il a une énergie que pourrait envier plus d'un jeune séminariste. « Je suis vieux, je ne sais pas encore combien de temps je pourrai crier, confie-t-il, mais tant que j'aurai un peu de voix, je continuerai à le faire. »
De La Grange, Arnaud
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