En juin, cela fera vingt ans que les tanks du gouvernement communiste chinois ont écrasé les étudiants sur la place Tiananmen. Depuis, durant deux décennies, les autorités angoissées ont mené une course essoufflée à l'expansion économique pour échapper à la révolte sociale. En dessous des 8 % de croissance, disait-on, il serait difficile d'absorber les masses venues du fond miséreux des campagnes. Le gouvernement devait appuyer constamment sur l'accélérateur économique pour éviter les troubles, quitte à risquer la surchauffe permanente.
La crise force la Chine à entrer dans une phase de vitesse réduite. Au premier trimestre, en rythme annuel, la croissance chinoise n'a été que de 6,1 %, après 6,8 % au quatrième trimestre de 2008. Certes, différents signaux montrent que l'économie repart un peu. En mars, les ventes de voitures ont atteint un record, faisant du pays le premier marché automobile du monde. En mars encore, la production industrielle a rebondi de 8 %. Les investissements ont crû de 28 % au premier trimestre, tirés par les dépenses publiques du plan de relance de 460 milliards d'euros.
Mais une page est tournée sur la croissance à deux chiffres. L'économie est « en meilleure santé que prévu », a déclaré le Premier ministre Wen Jiabao, avouant ainsi que le résultat du premier trimestre donne sans doute le niveau des temps à venir. FMI et Banque mondiale prévoient aussi 6,5 % cette année.
Les deux piliers de la croissance chinoise sont très ébranlés. L'immobilier, d'abord, avec des constructions champignonesques et des prix qui ont triplé depuis 2003. Les facilités de prêt accordées par le gouvernement redonnent un peu d'oxygène au marché, mais elles ne pourront pas modifier la tendance à une forte baisse des prix. Ceux-ci devraient être divisés par deux, selon Cao Jianhai, professeur à l'Académie des sciences sociales, cité par le « Financial Times » (14 avril), ce qui va sérieusement réduire l'appétit pour la construction. L'exportation, ensuite, qui représenterait 40 % du PIB. Un débat existe sur l'importance de ce chiffre et sur la dépendance de la croissance chinoise à la bonne santé du G3 (Etats-Unis, Europe, Japon). Selon UBS, seulement 8 % des salariés travailleraient pour l'exportation industrielle. Selon d'autres calculs tenant compte des effets induits, une baisse de 10 % des exports entraînerait une chute de 2,5 points de croissance. Mais, quoi qu'il en soit, la Chine voit la route de ses débouchés rétrécie.
Le plan de relance vise précisément à substituer une demande intérieure à celle extérieure devenue défaillante. Le plan est ambitieux et, en proportion, aussi puissant que celui décidé par Barack Obama (4,4 % du PIB, selon le FMI). Mais, comme toujours en Chine, Pékin doit compter avec les lenteurs de transmission de ses ordres aux responsables locaux. Le maintien d'un excédent des comptes extérieurs démontre que le but n'est pas atteint, la consommation globale intérieure chinoise est toujours trop modeste.
Au-delà de la conjoncture, le pari est bien de changer de modèle pour moins dépendre de l'export. Mais ce changement s'opère lentement : le taux d'épargne des ménages reste trop fort, témoignant d'une insuffisance des autorités à les rassurer sur l'avenir. Le taux d'investissement des firmes privées reste trop bas, éclairant une anomie des taux de profit moyens. Conséquence, la Chine devrait avoir beaucoup de mal à remonter sa croissance même vers les 8 %.
Quelle conséquence ? La province de Guangdong, au sud-est du pays, compte 19 millions d'immigrants de l'arrière-pays. A l'occasion des fêtes du nouvel an chinois, en janvier, plus de la moitié (10 millions) sont repartis chez eux. Mais au lendemain 9,5 millions sont revenus. « Chez eux », ce n'est plus là-bas sur la terre pauvre des parents mais ici dans la lumière des villes. Environ 450.000 n'ont pas retrouvé leur emploi au retour à cause de la crise. Mais ils ne se sont pas révoltés. Les Chinois ne veulent pas abattre le régime mais avoir un emploi, de meilleurs salaires, une voiture, des loisirs, se marier. Bref, consommer. Le spectre de Tiananmen se retourne pour aider le gouvernement à modifier le régime de croissance : les revendications sociales sont ce qu'il y a de meilleur pour lui.
Eric Le Boucher est directeur de la rédaction d'« Enjeux-Les Echos ».
© 2009 Les Echos. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire