Deux mois et demi après son enlèvement, très probablement par la sécurité d'Etat chinoise, le sort de l'avocat Gao Zhisheng préoccupe les milieux de défense des droits de l'homme à l'étranger : ce pionnier du weiquan yundong, le mouvement de défense des droits, aurait été gravement torturé en 2007, lors d'une précédente " disparition ", et menacé de mort.
Son épouse, Geng He, qui a gagné les Etats-Unis le 11 mars après avoir quitté clandestinement la Chine en janvier avec ses deux enfants, a adressé le 23 avril une lettre ouverte au Congrès américain, où elle rappelle le combat de son mari pour faire respecter les lois chinoises et exposer les dénis de justice dont sont victimes les citoyens ordinaires.
" Je n'ai aucun doute sur le fait que cet enlèvement constitue la réponse du gouvernement chinois à notre fuite. Je suis extrêmement inquiète pour mon mari au vu des expériences horribles qu'il a subies par le passé ", écrit-elle, justifiant sa décision de se réfugier en Amérique par l'état préoccupant de ses enfants, empêchés d'aller à l'école et témoins des brimades et des tortures infligées à leurs parents. Aidée par des réseaux clandestins et des passeurs, Geng He avait rejoint le Yunnan puis la Thaïlande.
Des avocats américains, réunis dans le Comité de soutien aux avocats chinois, ainsi que les organisations des droits de l'homme à l'étranger exigent que Pékin révèle la situation de maître Gao ainsi que les charges qui pèsent sur lui. L'ONG Human Rights in China (HRIC), basée à New York, appelle à sa libération immédiate.
Gao Zhisheng, qui a exercé à Pékin avant que sa licence ne soit révoquée en 2005, est l'un des premiers " avocats aux pieds nus " à se distinguer au cours des années 2000 en portant devant les tribunaux des affaires de citoyens ordinaires victimes d'injustice, des résidents expulsés aux patients floués par les hôpitaux. De religion chrétienne, il défend des chrétiens des églises à domicile harcelés par les autorités, puis des membres du mouvement religieux Falun Gong, interdit en 1999 suite à une spectaculaire manifestation, le 25 avril de la même année.
Indigné par la paralysie totale de la justice chinoise sur ce dossier, il met au jour une entreprise systématique de persécution, dont il entreprend de dénoncer l'illégalité par des lettres ouvertes au Congrès national du peuple puis aux dirigeants chinois en 2005. Il démissionne alors du Parti communiste et part recueillir dans le Shandong des témoignages de membres du Falun Gong torturés.
Interdit dans la presse chinoise et constamment harcelé, il s'efforce dès lors de sensibiliser la presse et les ONG étrangères aux dénis de droit en Chine avant d'être, fin 2006, arrêté pour subversion. Il bénéficie d'un sursis mais doit quitter Pékin. C'est à cette époque que le militant Hu Jia prendra sa relève, avant d'être lui même porté " disparu " pendant plusieurs semaines, puis placé en résidence surveillée et enfin emprisonné fin 2007. Les militants de ce mouvement informel et leurs proches sont constamment harcelés : il y a quelques semaines, le journaliste d'investigation chinois Wang Keqin révélait sur son blog comment il avait été empêché par des hommes de main de rencontrer l'épouse de Cheng Guangcheng, le juriste aveugle emprisonné au Shandong.
C'est dans son village natal du Shanxi, où il était assigné à résidence, que Gao Zhisheng a été enlevé le 4 février. Cinq jours après, HRIC mettait en ligne une lettre ouverte dont l'avocat avait manifestement demandé la sortie au cas où il disparaîtrait de nouveau. Celle-ci, écrite en novembre 2007, juste après sa libération, détaille les tortures que lui a fait subir pendant plusieurs jours un groupe de policiers, après l'avoir embarqué de force dans une voiture, le 21 septembre 2007. Matraques électriques, cure-dents dans les parties génitales et tabassage en règle, ses tortionnaires lui font goûter un à un, se vantent-ils, " les douze plats " du menu complet réservé aux membres du Falun Gong.
L'avocat écrit avoir reconnu au moins deux agents, l'un du Shandong, et un gradé de Pékin, qui fit mine de réprimander ses tortionnaires pour leur brutalité, puis le fit transporter en prison, où on l'encouragea à dénoncer ouvertement le Falun Gong et louer le gouvernement, " pour autant d'argent qu'il voulait ". Il acceptera, dit-il, de déclarer sur l'honneur qu'il avait été bien traité.
Depuis 2008, et notamment au moment des Jeux olympiques, très peu d'informations filtrent sur la situation de l'avocat, qui fait partie des Chinois pressentis pour le prix Nobel de la paix. Interrogés à son sujet, ses confrères proches, à Pékin, répondaient alors que la situation était " délicate "...
Brice Pedroletti
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