Après bientôt un an de relations orageuses entre la Chine et la France autour de la question du Tibet, le G20 et l'urgence de la crise économique ont opportunément permis à Hu Jintao et Nicolas Sarkozy de se rencontrer, mercredi soir 1er avril, en marge du sommet : " Notre rencontre aujourd'hui marque un nouveau point de départ pour les relations bilatérales, et j'espère que les deux côtés vont travailler ensemble pour lancer une nouvelle phase des relations franco-chinoises ", a déclaré le président Hu à son homologue français.
Cette amorce de réconciliation n'était pas acquise, puisque M. Sarkozy ne faisait par partie des personnalités que le chef d'Etat chinois devait rencontrer à Londres. Plusieurs signes positifs étaient toutefois parvenus aux diplomates français, dans un contexte international il est vrai différent d'il y a quelques mois, lorsque malgré la crise financière, la Chine avait fait annuler au dernier moment le sommet Europe-Chine de Lyon, infligeant un camouflet cuisant à la France, qui présidait alors l'Union européenne.
Cette fois, l'heure est à la collaboration affichée : Nicolas Sarkozy cherche à laisser sa marque au G20, et les Chinois, qui s'y présentent en position de force, comptent bien en sortir renforcés politiquement sur la scène internationale : " Il y a beaucoup de convergence entre Français et Chinois au G20, les Chinois sont d'accord sur renforcement des règles, sur la régulation des hedge funds - fonds spéculatifs - , sur les agences de notation. Il y a un problème temporaire sur la question des paradis fiscaux, mais c'est davantage une question de méthode que de principe ", explique un proche du dossier côté français.
La France traverse depuis un an en Chine un boycottage politico-économique officieux : " Il y a eu deux périodes : au printemps dernier, l'impact fut sensible, avec le boycottage de Carrefour, toute une série de tensions avec des sociétés françaises, ainsi qu'un boycottage touristique, disait encore notre interlocuteur. Le risque économique était réel. Depuis décembre, on est dans un rapport de force politique et diplomatique, avec moins de retombées économiques. Les Français ont pâti toutefois d'un gel des contacts, il était quasiment impossible de rencontrer des ministres chinois pour les hommes politiques mais aussi les chefs d'entreprise. Cela signifiait un impact à terme si la mauvaise humeur chinoise s'était accentuée ". La question du Tibet, suite au mouvement de protestation qui a secoué la Région autonome en mars 2008, est au coeur de la discorde franco-chinoise.
Dans le communiqué publié les deux pays, mercredi, la France " mesure pleinement l'importance et la sensibilité de la question du Tibet et réaffirme qu'elle s'en tient à la politique d'une seule Chine et à sa position selon laquelle le Tibet fait partie intégrante du territoire chinois, conformément à la décision prise par le général de Gaulle qui n'a pas changé et ne changera pas. Dans cet esprit et dans le respect du principe de non ingérence, la France récuse tout soutien à l'indépendance du Tibet sous quelle forme que ce soit ". Une telle déclaration réitère les positions françaises officielles françaises même si jamais la France n'était allée aussi loin dans la récusation à " un soutien quel qu'il soit " de l'indépendance du Tibet, ouverte à interprétation.
Si Pékin s'en satisfait, c'est qu'il est prisonnier de la mise en scène permanente dont fait l'objet le Tibet vis-à-vis de l'opinion publique chinoise : le " dalaï-lama et sa clique " sont des " séparatistes ", soutenus par les gouvernements étrangers. La question de l'autonomie (garantie en théorie par la Constitution chinoise mais non appliquée), ou les propositions du dalaï-lama transmises par écrit en novembre 2008 à Pékin, sous forme d'un mémorandum, lors des derrières rencontres entre émissaires des deux parties, sont escamotées dans les débats en Chine.
L'apparente reddition française intervient une semaine après que la journée d'émancipation du servage, décrétée pour la première fois cette année, le 28 mars, pour coïncider avec l'anniversaire sensible, de la fuite du dalaï-lama en Inde, a donné lieu à un déluge de propagande. Les Chinois ont pu voir le Panchen Lama (éduqué et élevé à Pékin, il est considéré par Dharamsala comme un usurpateur) louer la prospérité apportée par le Parti communiste.
Cette victoire factice pour la Chine se double d'une victoire bien réelle, Pékin ayant certainement réussi, grâce à la leçon donnée à la France, à " effrayer les singes en tuant un poulet " : à moins d'une action concertée, peu de gouvernements oseront désormais s'exposer à l'ire de Pékin.
Quant au Tibet, il est pour l'instant perdant : un an après les protestations de mars 2008, la Région autonome et les zones tibétaines des provinces voisines sont hors d'accès à la presse étrangère et soumis à une très lourde présence policière. Aucun des rouages de la société civile qui émerge en Chine, avec ses militants, ses avocats et ses journalistes, n'y est un tant soit peu actif. Le 25 février, le Nouvel An tibétain traditionnel a marqué le coup d'envoi de nouvelles protestations. Les cérémonies furent boycottées, et les actions collectives ou individuelles de résistance civile se multiplient depuis, selon les ONG tibétaines en exil. Le 30 mars, Tibetan Center for Human Rights and Democracy rapportait que Phuntsok, un moine du monastère de Drango, au Sichuan, avait été battu à mort par la police après avoir distribué des tracts appelant à ne pas planter de récoltes en signe de désobéissance.
Brice Pedroletti
PHOTO - Pour une deuxième fois en deux jours, le président chinois serre la main à son homologue français lors du sommet du G20, 2 avril 2009 / REUTERS
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