jeudi 21 mai 2009

DOSSIER SÉCU (2/5) - Pékin veut reconstruire un service public de santé

Le Monde - Economie, mardi, 12 mai 2009, p. MDE1

Pékin va investir 93 milliards d'euros dans le système de santé. Le désengagement de l'Etat avait conduit à une dégradation de la qualité des soins et à l'envolée des coûts pour les malades La Chine prévoit d ouvrir des dizaines de milliers d hôpitaux, de fixer les prix de 300 médicaments et d améliorer les remboursements

En gestation depuis deux ans, le projet de réforme du système de santé chinois, dont les grandes orientations ont été annoncées début avril, aurait pu pâtir du retournement de conjoncture dû à la crise économique mondiale. Mais au moment où, comme en France avec la réforme hospitalière, les gouvernements essaient de limiter le coût de la santé pour les budgets publics, c'est l'inverse qui pourrait bien se produire en Chine.

En montrant combien son modèle de croissance, dépendant des exportations, est vulnérable à un choc extérieur, la récession a prouvé à la Chine la nécessité de développer son marché intérieur, et a rendu aussi plus urgente la mise en oeuvre de mesures sociales. Le ralentissement économique a laissé sur le carreau de 20 millions à 30 millions de travailleurs migrants, réduisant d'autant les revenus envoyés dans les campagnes, où les dépenses de santé restent l'un des premiers facteurs d'épargne de précaution.

Or augmenter la propension des Chinois à consommer passe par un déblocage de leur épargne, notamment en les soulageant de la dépense la plus élevée après l'éducation, à savoir la santé.

Un premier plan à court terme, de 2009 à 2011, de 850 milliards de yuans (92,6 milliards d'euros) de financements publics, doit réduire les charges qui pèsent sur les ménages en matière de santé et porter à 90 % le taux de la population couverte par une assurance médicale. Puis, d'ici à 2020, un « système de santé sûr, efficace, pratique et raisonnable » doit avoir été établi dans les zones aussi bien urbaines que rurales.

Les campagnes chinoises restent en effet plongées dans le sous-développement. Certes, dans un rapport publié en mars 2009 sur la réduction de la pauvreté en Chine, la Banque mondiale se félicitait des résultats obtenus.

La part de la population en dessous du seuil d'extrême pauvreté, selon ses critères, c'est-à-dire dont la consommation ne dépasse pas 888 yuans par an, est passée de 15,56 % en 2001 à 10,38 % en 2004 et 4 % en 2007. Mais ces performances cachent une extrême vulnérabilité, car deux fois plus de personnes passent au moins une fois tous les trois ans en dessous du seuil de pauvreté. Et, en 2004, 41 % de la population, soit 538 millions de Chinois, se situaient en dessous du double du seuil de pauvreté. Or, affirme le rapport, même les ménages les plus pauvres mettent de l'argent de côté par précaution.

Les trente années d'ouverture et d'économie de marché ont conduit au désengagement de l'Etat du secteur de la santé, au point que la part des dépenses publiques y est tombée de près de 90 % à l'époque du collectivisme à... 17 % en 2007, faisant ainsi passer le pays d'un excès à l'autre. Aux Etats-Unis, le taux est de près de 50 %, et de 80 % dans les pays européens et au Japon. La Chine n'a consacré ainsi que 1 % de son PIB en 2007 aux dépenses publiques de santé, un peu moins que l'Inde et l'Indonésie, trois fois moins que le Brésil et deux fois moins que la Thaïlande. En outre, la part du gouvernement central dans ces dépenses n'est que de 10,5 %, contre 89,5 % pour les divers échelons de gouvernements locaux. Or, dans les régions les moins développées, ceux-ci sont parfois très démunis, ce qui les conduit à lancer des investissements de faible qualité.

Cette privatisation de facto s'est faite sur des bases peu transparentes : il n'y a pas de médecine de ville en Chine, et les hôpitaux publics, devenus des structures hybrides, doivent s'engager, pour se financer, dans une course aux profits qui favorise toutes les dérives, alimente la corruption et rançonne les patients. C'est le cas dans les campagnes, mais aussi dans les villes où, malgré l'accès de quelque 300 millions d'urbains à des services de santé de qualité, les failles du système et les surfacturations par les hôpitaux conduisent les ménages à une épargne de précaution.

« L'enjeu, c'est de reconstruire un service public qui fonctionne avec des crédits publics, constate Jean-Louis Durand-Drouhin, conseiller pour les affaires sociales près l'ambassade de France en Chine. L'une des questions décisives est de trouver un financement de substitution pour les hôpitaux, qui tirent 30 % à 50 % de leur budget de la vente de médicaments. »

Le nouveau plan de réforme du système de santé, dont les propositions ont été soumises pendant cinq mois à un débat public (le public s'était plaint de les trouver incompréhensibles), s'attaque à quelques-uns des dysfonctionnements les plus flagrants du système actuel. Dans les zones rurales, où la population n'a pas confiance dans les structures locales parce que la formation du personnel médical et les équipements y sont rudimentaires, quelque 2 000 hôpitaux de districts doivent être construits, ainsi que 5 000 dispensaires. En fait, la population rurale a déjà bénéficié depuis 2005 d'améliorations, grâce à la mise en place d'un système coopératif d'assurance rurale volontaire, qui coûte 10 yuans par an et a été étendu à près de 86 % des districts ruraux en 2007. Mais les paysans ne peuvent compter que sur un remboursement d'un maximum de 60 % du coût des soins dans les dispensaires et cliniques rurales.

Pour les hôpitaux de district et des villes, où les tarifs peuvent être très élevés, le remboursement passe à 30 %, et à 10 % pour les hospitalisations.

La mise à niveau des infrastructures de base est donc une étape essentielle. Un système de primes doit permettre d'y attirer un personnel plus qualifié. Dans les villes, 3 700 centres de soin devraient voir le jour, et quelque 11 000 dispensaires doivent être rénovés ou construits.

Autre élément-clé de la réforme, la volonté de réguler les services quasi privés de pharmacie au sein des hôpitaux, en fixant les prix d'environ 300 médicaments de base. « Les hôpitaux recevront davantage de subventions, et la part de la vente de médicaments va diminuer au profit des prestations, aujourd'hui très faiblement facturées. Tout va donc dépendre de la proportion des soins qui seront remboursés ou non », analyse Hubert Stüker, expert allemand des systèmes d'assurance médicale, en poste à Pékin sur un projet de coopération sino-européenne.

« C'est une réforme qui se fait pas à pas, poursuit-il. Les indicateurs pointent vers plus de justice sociale, mais ce ne sera pas, contrairement à l'Europe, la création d'une réelle couverture universelle. Tout porte à croire que le système restera à plusieurs vitesses. Et les Chinois devront quand même continuer à épargner, tant qu'ils auront à régler une part importante de la facture médicale. »

Des questions essentielles restent encore en suspens, comme la réforme financière du budget des hôpitaux et la refonte de la gestion publique du système de santé. Pour l'instant, pas moins de sept ministères sont impliqués dans la mise en oeuvre de la réforme. La fragmentation des systèmes d'assurance entre les régions et l'absence de protection des travailleurs migrants qui en résulte sont aussi un casse-tête. Enfin, plus de la moitié des 850 milliards de yuans annoncés sont censés être déboursés par les budgets des gouvernements locaux, ce qui pose la question de leur financement dans bon nombre de régions, à un moment où la crise a fortement réduit leurs ressources.

Brice Pedroletti

© 2009 SA Le Monde. Tous droits réservés.

0 commentaires: