jeudi 21 mai 2009

DOSSIER SÉCU (3/5) - La réforme du système de santé est inachevée

Le Monde - Economie, mardi, 12 mai 2009, p. MDE5

VINGT ANS avant que la Chine n'aborde la transformation de son système de protection sociale, les pays d'Europe centrale et orientale entamaient leur sortie du communisme. La protection sociale ne fut cependant pas la réforme prioritaire des premières années de la transition démocratique, marquée par l'ouverture à l'économie de marché. Mais à la veille de l'élargissement de 2004, la réforme des systèmes de santé était devenue urgente pour rejoindre les standards européens. Problèmes de financement du système, qualité de soins insuffisante, sous-rémunération du personnel médical, difficultés d'accès aux soins et persistance de la pratique de dessous-de-table « coupe-file », tels étaient les maux diagnostiqués.

En 2009, malgré les mesures successives, la réforme de la santé, toujours prioritaire, reste inaccomplie. Sa mise en oeuvre s'est heurtée aux évolutions économiques et aux enjeux politiques.

« Les dépenses publiques de santé, aujourd'hui à nouveau contraintes par la crise, avaient été augmentées au début des années 2000 », rappelle pourtant Gaetan Lafortune, économiste à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Mais cela n'a pas suffi à régler les problèmes d'endettement des hôpitaux et de sous-rémunération du personnel. « En Pologne par exemple, le salaire des médecins est inférieur au salaire moyen national, malgré deux hausses successives de plus de 20 % entre 2004 et 2006. Leur rémunération n'avait pas bougé entre 1998 et 2004 », indique Marek Naczyk, assistant de recherche à l'université d'Oxford. Ce qui explique pourquoi l'usage des pots-de-vin, hérité de l'époque communiste, reste une pratique courante dans les services publics.

La marge d'augmentation possible des rémunérations du personnel médical a été rognée par les investissements des hôpitaux pour atteindre les standards européens d'équipement et par l'envolée des prix des médicaments. La part des dépenses allouées aux médicaments est en effet l'une des plus élevée d'Europe. Elle représentait, en 2005, 28 % des dépenses totales de santé en Pologne, 31 % en Hongrie et 32 % en Slovaquie, contre 16,4 % en France. Car le prix des médicaments s'est adapté au marché unique. « Depuis les années 1990, les laboratoires pharmaceutiques vendent le même produit dans tous les pays, ce qui a provoqué une hausse des prix en Europe centrale », explique Valérie Paris, économiste à l'OCDE.

DÉCENTRALISATION

La sous-rémunération du personnel médical n'est pas la seule urgence des réformes inachevées. L'offre de soins demeure inadaptée dans cette région où il est plus facile de trouver un spécialiste qu'un généraliste ! L'étude Eco-santé OCDE 2009, à paraître fin juin, indique ainsi la persistance de la surreprésentation des spécialistes par rapport aux généralistes. En 2007, la République tchèque comptait 2,9 spécialistes contre 0,7 généraliste pour 1 000 habitants (1,7 pour 1,6 en France). Un déséquilibre du même ordre se retrouve en Slovaquie et en Hongrie.

Pour améliorer l'efficacité du système, d'importants changements ont pourtant été réalisés dès le début des années 1990. Un régime d'assurance-maladie obligatoire a été mis en place en Pologne, République tchèque, Slovaquie et Hongrie. Des caisses régionales ont été créées. La gestion des hôpitaux a été décentralisée en Pologne, Hongrie et République tchèque, ce qui a déplacé le problème de financement vers les collectivités locales, mais sans consolider suffisamment les fonds. Pour diminuer la dette des hôpitaux, le nombre de lits a été réduit. En Pologne, « il a diminué de 75 000 entre 1990 et 2005 », indique l'Observatoire européen des politiques et systèmes de santé. Le nombre de lits pour soins aigus est passé de 6,3 à 4,7 lits pour 1 000 habitants, se rapprochant ainsi de la moyenne de l'OCDE en 1990.

Le piétinement des réformes de la santé s'explique enfin par les enjeux politiques. Les mesures impopulaires sont parfois abrogées d'un gouvernement à l'autre. Ainsi en 2006, le gouvernement slovaque « est revenu sur les éléments clés de la réforme de la santé adoptée en 2003-2004. Le copaiement pour les visites médicales et les séjours hospitaliers a été aboli », constate le Fonds monétaire international.

Anne Rodier

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