Les acheteurs de toute la planète s'approvisionnent à la foire de canton
A Canton, dans le sud de la Chine, la plus grande foire commerciale de la planète a fermé ses portes le week-end dernier. Malgré la crise, des dizaines de milliers d'acheteurs occidentaux, africains ou asiatiques sont venus préparer leurs prochaines commandes de produits « made in China ». Tandis que les vendeurs, inquiets face au recul des ventes, multiplient les rabais.
Sur la foire de Canton, en avril. Deux fois par an, au printemps et à l'automne, plus de 22.000 entreprises y présentent 100.000 types de produits différents. Selon les experts, plus de 15 % des commandes totales de marchandises chinoises trouvent leur origine dans des contacts amorcés à la foire de Canton.
Jésus sanguinolent sur la croix au centre d'une horloge illuminée de diodes fluorescentes, un bac en acier de distribution de grains pour canards, des tapis de prière musulmans de la marque Jeddah Golden et des parapluies de golf avec ventilateur intégré. Ils peuvent être livrés dans la couleur et avec le logo de votre choix sous six semaines. « On vous envoie un devis », lancent, en anglais, les vendeurs après le rituel échange de cartes de visite. « Pourquoi pas ? », s'amuse Christophe Bastianelli, le PDG d'AD2L, une société française spécialisée dans la vente d'objets promotionnels. Comme chaque année, il est venu s'installer pour une dizaine de jours à Canton (Guangzhou), dans le sud de la Chine, pour arpenter les allées de la plus grande foire commerciale du monde, qui a fermé ses portes le week-end dernier.
Deux fois par an, au printemps et à l'automne, plus de 22.000 groupes venus de toute la Chine se retrouvent dans un centre d'exposition de 1,12 million de mètres carrés, l'équivalent de 172 terrains de football. Trois semaines durant, ils présentent 100.000 types de produits différents à plus de 200.000 acheteurs étrangers, venus « sourcer » le « made in China » distribué à travers le monde. « Tout ce que vous pouvez imaginer chercher se trouve ici », résume Abdelhak Zaouri, le manager du groupe anglais d'équipements de cuisine Fabulous.
Jusque dans les années 1980, avant que le pays s'ouvre aux investisseurs étrangers, plus de la moitié des exportations chinoises étaient négociées au cours de l'événement mis sur pied en 1957 pour présenter au monde les marteaux, les binettes et quelques camions militaires de la marque Jiefang. Malgré la Révolution culturelle et les tentatives de sabordage lancées par les gardes rouges, la foire a toujours été le point de rencontre obligé des sociétés du pays et des hommes d'affaires occidentaux, africains et asiatiques. Les experts estiment qu'aujourd'hui encore plus de 15 % des commandes totales de marchandises chinoises sont amorcées lors de la foire de Canton. L'an dernier, les organisateurs, dépendants du ministère du Commerce, ont affirmé, sans préciser leur mode de calcul, que près de 69,8 milliards de dollars de contrats avaient été négociés au cours des deux sessions.
S'équiper de bonnes baskets
Pour faire des affaires, mieux vaut éviter de porter un costume trois pièces et opter pour des jeans confortables et surtout de « bonnes baskets », préviennent les habitués, qui parcourent jusqu'à 15 kilomètres par jour entre les trois pavillons de la foire. « Avec le temps, on a des repères, on retrouve les fournisseurs, mais les premières années, c'est épuisant », souffle Christophe Bastianelli, lors d'une pause au McDonald's géant du site. Bien qu'entraîné, l'ancien cycliste professionnel de quarante-trois ans, spécialiste du sprint, a passé, comme de nombreux acheteurs étrangers, la soirée de la veille dans un salon de massage traditionnel, où une vieille dame a apaisé un genou douloureux à coups d'aiguilles d'acupuncture. « La visite reste tout de même essentielle. En trois allées, on rencontre tous les fournisseurs dans un segment précis. Ça évite beaucoup de visites d'usines dans le pays et permet de fixer des repères de qualité et de prix », explique-t-il.
Aujourd'hui, il s'attaque aux 17 allées de la « zone B.9.1 », où sont exposés horloges, montres et autres instruments optiques. En course pour emporter la prochaine campagne promotionnelle d'un grand groupe d'assurances français, il recherche un fournisseur capable de lui livrer rapidement 25.000 stations météo de poche. Ayant déjà identifié un modèle satisfaisant, il fait le tour de la concurrence pour comparer les prix et les prestations. « Il faut faire attention. Vous trouverez toujours une usine pour accepter un prix moins élevé, mais gare aux déceptions à la livraison, insiste l'acheteur. Presque aucun contrat n'est signé directement à la foire. On y prend un premier contact qui va donner lieu à un échange de devis beaucoup plus pointu dans les quinze jours. Souvent, le prix promis à Canton n'est plus possible. Il faut donc multiplier les rencontres pour être certain de trouver quelqu'un de sûr dans les temps. »
Attention au respect des normes
A Canton, les prix sont, la plupart du temps, annoncés en « FOB » - « free on board » ou « franco à bord ». Ils correspondent au prix de la marchandise sortie d'usine et livrée dans un port chinois. Pour avoir une idée de la facture finale, l'importateur doit y ajouter les frais de transport, les assurances et surtout les différentes taxes nationales. Le coût du contrôle des cargaisons doit aussi être pris en compte. Pour entrer sur le marché européen, les marchandises doivent répondre à différentes normes que tous les producteurs chinois ne maîtrisent pas. « Sur les produits sensibles, il faut être particulièrement vigilant et les tests coûtent cher », souligne Christophe Bastianelli, qui a importé, ces dernières années, des clefs USB, des fioles de parfums ou encore des sacs de sport.
Lilian Gillet, le responsable du bureau AD2L de Canton, s'attarde sur un stand de jouets. Il recherche, lui, des idées de gadgets pour les menus enfants d'une petite chaîne de restauration rapide française. Au milieu de plus de 150 produits, les pistolets à eau sont séduisants, mais les standards de sécurité semblent « légers ». « Je leur ai demandé s'ils avaient les bonnes normes pour la France, ils m'ont répondu qu'il ne fallait pas que je m'inquiète, qu'ils pouvaient s'arranger. Dans ce cas-là, on dégage vite. Même pas besoin de prendre leur catalogue », glisse le négociateur, qui travaille directement en mandarin.
Avec la crise, les acheteurs se montrent plus méfiants sur les généreuses remises de prix proposées dans les stands. « La violente baisse des exportations chinoises rend les vendeurs plus fébriles. Ils veulent boucler plus de contrats pour faire survivre leurs usines et se montrent parfois moins rigoureux sur les exigences de qualité », prévient Abdelhak Zaouri. Les exportations, qui constituent l'un des moteurs clefs de la croissance chinoise, viennent d'enregistrer six mois de baisse consécutifs. En mars, elles étaient en recul de 17,1 % en glissement annuel, après avoir déjà connu une chute de 25,7 % au mois de février. Au cours de la foire, le volume des contrats négociés aurait lui aussi fondu de près de 20 %, quand le nombre d'acheteurs potentiels reculait, selon les organisateurs, de près de 10 %.
Dans les allées, beaucoup plus clairsemées que ne le laissent imaginer les statistiques officielles, tous commentent cette dépression. « Cette année, il y a beaucoup moins de clients européens et les Américains ont presque disparu. Les acheteurs venus d'Afrique et du Moyen-Orient sont, en revanche, un peu plus nombreux. Mais les négociations sont plus difficiles », se lamente Xie Wen Sheng, du groupe KidsandBud Industries, basé à Shenzhen. Sa société, spécialisée dans la production de peluches et de pères Noël animés, a enregistré une chute de 30 % de ses commandes au premier trimestre. « Nous nous sommes séparés de 100 de nos 350 ouvriers migrants », explique le responsable, qui espère toutefois sécuriser un minimum de commandes, notamment en Amérique latine. Pour cela, il affirme avoir concédé un rabais de 5 % sur ses étiquettes, en répercutant sur les tarifs la récente baisse des coûts des matières premières et de la main-d'oeuvre enregistrée dans le pays.
Tirer parti de la crise
Sur le stand voisin de AnBestToys, les ventes auraient reculé de 20 % en glissement annuel et les tarifs de plus de 5 %. « Beaucoup de nos clients n'ont pas fait le déplacement cette année », remarque Janine Wong, la responsable du marketing, qui pointe tout de même une légère amélioration du climat des affaires par rapport à la précédente session, en octobre 2008. « A ce moment-là, c'était catastrophique. »
Après avoir massivement déstocké jusqu'en mars, les acheteurs, notamment les grands groupes de distribution, recommenceraient à passer des commandes, qui restent toutefois inférieures à celles des années précédentes. « Nous vendons moins, mais nous vendons toujours », philosophe Boris Prokhorov, un distributeur russe de jouets. « Et cette année, il est plus facile de négocier de petites séries », se réjouit-il. « Avant, quand je voulais passer des petites commandes, on ne répondait même pas à mes demandes de devis tant les usines du Sud tournaient à plein. Maintenant, ils s'intéressent à mes achats et tout le monde me rappelle pour me faire des offres », confirme Wilson Bola, un Nigérian venu s'approvisionner en textiles et cosmétiques bon marché. « Finalement, la crise pourrait avoir un peu de bon », sourit-il.
YANN ROUSSEAU
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