Un an après le tremblement de terre meurtrier, les autorités ont engagé un énorme effort en faveur des victimes mais peinent à faire preuve de transparence.
Du haut de la montagne, la vue plonge sur la ville disloquée de Beichuan, au fond de la vallée dont l'accès est condamné. Pour quelques yuans, on peut louer des jumelles panoramiques qui offrent un zoom terrifiant sur un chaos de béton et de briques, les immeubles encore debout semblant pris d'une folle ivresse. À côté, des stands vendent DVD et livres sur le terrible tremblement de terre du 12 mai 2008, qui a fait plus de 87 000 morts et disparus. Débarqués de leurs bus, des dizaines de curieux jouent de l'appareil photo ou brûlent des bâtonnets d'encens devant les stèles d'hommage aux morts. Un tourisme du tragique, mi-émouvant, mi-malsain.
Beichuan ne se relèvera pas de ses ruines en ce vallon maudit. La ville, la plus détruite et dont 10 000 habitants sont morts, renaîtra 23 kilomètres plus loin. Et pour conjurer le sort, elle sera rebaptisée Yongchang (« Éternelle prospérité »), nom donné par le président Hu Jintao en personne. He Wang est l'homme chargé de faire revivre Beichuan. Comme toute l'administration de la ville martyre, il s'est installé 10 kilomètres plus loin, dans la bourgade d'Anchang. Mais le « vice-chef du district » n'est pas un cadre local. Il est venu, il y a six mois, tout droit de l'Institut de planification urbaine de Pékin. Les autorités chinoises veulent que la reconstruction au Sichuan soit exemplaire, et les opérations sont étroitement centralisées. Une superficie équivalente à la Belgique a été touchée et plus de 1,5 million de maisons doivent être reconstruites.
Tout l'arsenal de la « croissance verte »
Yongchang sera donc une ville modèle. « Nous voulons une cité qui respecte à la fois l'architecture des Qiangs, la minorité de la région, et qui soit entièrement conçue autour du bien-être des citadins, moderne et pilote sur le plan écologique
», explique He Wang. Collecte des eaux usées, géothermie, rues piétonnes et transports en commun peu polluants, tout l'arsenal de la « croissance verte » va être sorti. « Les logements seront vendus au prix de revient et chaque famille recevra 25 000 yuans (2 690 euros) de subvention, poursuit-il, les travaux d'aplanissement du terrain ont commencé et 30 000 personnes seront déjà relogées fin 2010. » À ceux qui critiquent la lenteur de la reconstruction urbaine, Pékin oppose son intention de bien faire les choses. Dans les campagnes, elle est presque terminée, les paysans rebâtissant souvent eux-mêmes leur maison en s'appuyant sur les subsides reçus. La puissante NDRC (Commission nationale pour le développement et la réforme) a fait savoir vendredi que le gouvernement voulait encore accélérer le rythme, pour terminer l'essentiel de la reconstruction en deux ans au lieu des trois années prévues. La gigantesque entreprise a des effets importants sur l'activité économique, un quart du plan de relance chinois de 460 milliards d'euros étant centré autour du Sichuan.
Avant cette « troisième phase », deux autres actes ont été joués avec une bonne dose d'efficacité par Pékin. Le premier, celui du temps des secours immédiats, restera comme une inédite démonstration chinoise de réactivité et de mobilisation. En déployant 150 000 hommes sur le terrain, soit plus que toute l'armée de terre française, l'Armée populaire de libération (APL) a dévoilé pour la première fois ses capacités logistiques et d'organisation. « La Chine a montré qu'elle était un pays où les choses fonctionnent », commente un observateur. Le deuxième acte a été peu ou prou de la même veine. Les autorités s'étaient engagées à ce que les 5 millions de sans-abri disposent d'un logement temporaire décent dans les trois mois. Le pari a été tenu. Des dizaines de villages de préfabriqués, plutôt bien conçus, ont poussé ici et là. Là encore, le défi logistique a été énorme et des autoroutes ont par exemple été fermées pour permettre l'acheminement des baraques. Politiquement et médiatiquement, l'affaire a été aussi menée de manière innovante. On se souvient des images du premier ministre Wen Jiabao au coeur des villes meurtries, quelques heures seulement après le drame.
Cette efficacité des autorités chinoises rend d'autant plus incompréhensible la chape de plomb qui s'est abattue depuis quelques mois, sur la tragique question des écoles, notamment. Dans la petite ville de Juyuan, une femme vit ainsi une insupportable double peine. Le 12 mai, à 14 h 28, la vie de cette mère s'est effondrée en même temps que les blocs de béton broyant ses deux filles jumelles de 16 ans. Elles étaient élèves de l'école secondaire dans laquelle des centaines d'enfants ont trouvé la mort. Parce qu'elle demande depuis des mois des explications, cette femme percluse de douleur est devenue une citoyenne traquée. Pour sauver les apparences, elle ne veut pas que l'on mentionne son nom, mais elle sait que son histoire l'identifie à coup sûr. La rencontrer demande des précautions dignes du plus dangereux des dissidents politiques. Après un prudent jeu de pistes, le rendez-vous a lieu dans la cage d'escalier d'un immeuble désaffecté. Elle a enlevé la puce de son téléphone pour ne pas être repérée et jette sans cesse des regards apeurés au dehors, guettant l'apparition de la police. Surréaliste, pour une femme déjà cassée par le deuil et dont la seule douleur est vécue comme subversive.
Les familles des victimes veulent savoir
La mère de Juyuan est usée par le harcèlement des autorités locales. « Avec des dizaines d'autres familles, nous ne demandons qu'une chose, dit-elle tristement, que l'on nous explique pourquoi l'école a été pulvérisée alors que les immeubles autour sont restés debout. Et le vrai nombre des morts, la publication de la liste des victimes.
» Officiellement, explique-t-elle, il y aurait eu 270 élèves tués, alors que les parents, qui ont fait le compte des 18 classes écrasées, estime le nombre à plus de 500. Quelle réponse lui donne-t-on ? « Rien, absolument rien, confie-t-elle. Enfin, si, des policiers en permanence devant chez moi. »
Cette femme de 45 ans fait preuve d'une émouvante dignité. Ses lèvres tremblent parfois quand elle évoque ses enfants, mais les larmes sont contenues. Elle est restée coquette, disponible. « Aujourd'hui, dit-elle, je n'ai qu'un but, faire avec leurs cendres une »fleur de vie»qui portera à jamais leur souvenir. » À l'automne dernier, elle a été arrêtée et incarcérée pendant 20 jours. Elle montre ses deux pouces abîmés par ses geôliers. « Les autorités locales sont odieuses, lâche-t-elle. Comment le gouvernement central peut-il laisser faire cela ?
» Elle ne demande qu'un exercice de vérité pour soulager un peu le deuil. « Et pour éviter que de telles tragédies ne se reproduisent, dit-elle, il est évident qu'il y a eu des problèmes de construction. Les écoles étaient bâties en »fromage de soja», comme on dit ici.
» La corruption aurait permis aux entrepreneurs de faire oublier aux cadres locaux normes et contrôles. Un écrivain, Tan Zuoren, a été arrêté fin mars à Chengdu et accusé de subversion parce qu'il essayait de dresser la liste des enfants morts. Sur le terrain, nombre de journalistes ont été bloqués, menacés, voire agressés.
À quelques centaines de mètres du site ravagé de l'ancienne école, un immense chantier est en cours. De toute évidence, les autorités n'ont pas mégoté sur les moyens. Toutes les provinces de Chine parrainant telle ou telle localité du Sichuan, la ville de Shanghai finance une partie des travaux. Mais sur les palissades, on trouve aussi de grandes affiches de soldats chinois et l'inscription « La zone militaire de Chengdu soutient la nouvelle école ». Les structures centrales du PC apportent aussi leur obole. Pour nombre d'habitants de Juyuan, ce triple soutien massif semble bien montrer que les autorités n'ont pas la conscience tranquille.
Il y a trois jours, les autorités se sont enfin décidées à publier leur compte des petites vies brisées : 5 335 morts ou disparus. Mais après avoir, dans un premier temps, reconnu de possibles problèmes de construction, elles ont totalement fermé la porte à toute remise en cause. À Chengdu, la responsable de la reconstruction, Sun Ming, assène la version officielle : « Si des écoles se sont effondrées alors que les immeubles autour restaient debout, c'est seulement parce qu'elles étaient situées au mauvais endroit, des études l'ont montré. »
Soit. Mais sur le Web chinois, la polémique et les appels à plus de transparence ne sont pas terminés. Nombre d'internautes se demandent pourquoi, dans leur gestion moderne d'une catastrophe majeure, les autorités chinoises se sont arrêtées en chemin.
Un écrivain, Tan Zuoren, a été arrêté et accusé de subversion parce qu'il essayait de dresser la liste des enfants morts.
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