La mobilité des idéogrammes chinois permet de fabriquer des néologismes en combinant librement les caractères. C'est le cas de jiushi, qui veut dire littéralement "sauver le marché" ou "sauver la Bourse". Mais jiushi est aussi l'homophone d'un mot qui signifie "sauver le monde". Les Chinois ont été habitués à entendre le Parti proférer l'injonction de sauver le monde, et surtout celui des pauvres. Autres temps, autres mots. Après avoir combattu le marché et l'avoir remplacé par la planification, le Parti l'a réintroduit. Aujourd'hui, il a compris que le marché lui était indispensable et il entend donc le sauver.
Cette évolution démontre la capacité d'un vieux Parti à s'adapter à la transformation rapide du monde. Mais la mutation du rapport entre le Parti et le marché détermine aussi la nature du régime. L'axiome idéologique du maoïsme était qu'il fallait sauver le monde en supprimant le marché. Deng Xiaoping fut bien obligé de conclure, après trente ans de socialisme sans marché, que celui-ci n'était pas un ennemi, et pouvait même être un "chat" efficace et docile (peu importe que le chat soit noir ou blanc, pourvu qu'il attrape les souris, avait-il dit).
Aujourd'hui, la somme injectée pour sauver le marché est colossale (plus de 450 milliards d'euros). Cela illustre une sérieuse prise de conscience par le Parti-Etat du caractère incontrôlable du marché, a fortiori lorsqu'il est mondialisé. Moins d'attention semble accordée aux rapports entre le marché et les êtres humains, qui ne sont pas que des consommateurs. Néanmoins, ce plan de sauvetage pourrait être un tournant dans le rapport de forces entre le régime et le marché, qui bascule en faveur de ce dernier.
Chen Yan
(Paris)
© 2008 Courrier international. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire