Rares sont les expressions aussi inconcevables sur le plan sémantique que jiuzai. Littéralement, jiu signifie secourir, alors que zai désigne la catastrophe naturelle. Or on ne porte secours ni au séisme ni à l'inondation, mais bien à la personne mise en danger par ces catastrophes. Ce mot - et l'association de termes dont il est fait - serait-il lié à la grande tradition chinoise de lutte contre les calamités naturelles ? Le combat contre la nature hostile afin de protéger les hommes constitue le fondement du despotisme oriental, thèse chère au sinologue allemand Karl August Wittfogel [1896-1988]. Selon lui, la civilisation chinoise fut, en partie, édifiée grâce aux grands travaux d'aménagement des cours d'eaux. Les rudes conditions géographiques et climatiques avaient rendu nécessaire un Etat tout-puissant. Autrement dit, ce sont les catastrophes naturelles qui poussent à la constitution de l'Etat autoritaire.
Ce qui nous amène directement à évoquer le grand roi mythique Yu, qui jeta les fondements du territoire chinois en aménageant les fleuves. Les catastrophes, et surtout les efforts faits pour les maîtriser, ont nourri le culte rendu au Grand Yu, symbole du père fort et bienveillant. En 1998, la lutte héroïque de l'Armée populaire de libération contre les inondations historiques du fleuve Yangtsé eut pour effet de blanchir, en partie, la honte du massacre Tian'anmen de 1989. Lors du tremblement de terre au Sichuan, le secours porté par l'Etat tout-puissant à la population sinistrée aura fait oublier la crise tibétaine. Ce qui est plus singulier, c'est que le pays natal du Grand Yu serait situé tout juste à l'épicentre du séisme.
Chen Yan
(Paris)
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