mardi 5 mai 2009

Le printemps rouge des nouveaux maoïstes chinois - Arnaud de la Grange

Le Figaro, no. 20143 - Le Figaro, mardi, 5 mai 2009, p. 2

La crise économique a redonné des couleurs aux anciens et aux nouveaux partisans du Grand Timonier mais aussi aux chantres du nationalisme.

Si l'on veut trouver en Chine une petite entreprise qui profite du coup de tabac économique mondial pour filer grand train, il faut porter ses pas du côté du district universitaire de Pékin. Là, cachée au 9e étage d'un immeuble aux atours bien anodins, une petite librairie se rit des jours sombres de la croissance à un chiffre. Au contraire, les convulsions du capitalisme font son bonheur. Utopia, c'est son nom, avait pris l'histoire dans le bon sens il y a six ans en se vouant toute au « socialisme ». Et à l'instar de l'or, Mao semble redevenir une valeur refuge en ces temps chahutés.

Utopia est un drôle d'endroit où se croisent vieux grognards du maoïsme et jeunes universitaires radicaux, étudiants déboussolés par la crise et chantres du nouveau nationalisme. Sur les murs, des portraits du fondateur de la République populaire, qui ne sont pas que pure stratégie commerciale. Sur les tables, des ouvrages sur Mao, mais aussi sur Saddam Hussein ou Hugo Chavez. « Quand nous avons ouvert il y a six ans, nous voulions offrir un espace aux livres marginaux, hors du courant principal, explique le gérant de la librairie, Fan Jinggang, mais avec la crise, l'impact a été décuplé ! » La « librairie rouge », qui se contentait de 120 petits mètres carrés il y a peu, s'étend aujourd'hui sur plus de 400 m. Avec un salon où sont organisées régulièrement des causeries politiques. Il se vend aujourd'hui plus de 200 ouvrages sur Mao par mois. Et les revenus de la boutique en ligne « ont bondi de 4 000 yuans, à plus de 20 000 yuans par mois », se réjouit Fan Jinggang.

Bien sûr, les livres sur l'idéologie communiste ne sont pas seuls responsables du chiffre d'affaires, les ouvrages sur la crise partant aussi comme des petits pains. Il n'empêche, les clients ont parfois un discours surprenant. Étudiant à l'Institut de technologie de Pékin, Zhang est l'un de ces six millions de diplômés qui vont devoir trouver un emploi en juin, alors qu'un million d'étudiants de l'année précédente sont toujours sur le carreau. « Oui, j'ai peur du chômage, comme beaucoup de mes amis, confie-t-il, et c'est normal d'avoir de la nostalgie pour l'époque de Mao, où tout le monde trouvait un emploi... » Et les terribles spasmes de la Révolution culturelle, cette période sombre de chasse aux « intellectuels » ? « Bien sûr qu'il y a eu des erreurs commises, reconnaît Zhang, mais ce n'est pas une raison pour tout rejeter en bloc. » Le discours trempe dans un sentiment « d'injustice sociale » que les réformes n'ont cessé de nourrir. Le site Internet d'Utopia et son forum « wuyouzhixiang » sont ainsi le grand rendez-vous virtuel des « gauchistes » de tout poil. Les diatribes sont violentes, contre les dérives du « capitalisme débridé » ou la faillite du « dogme libéral ».

« Il y a des courants très différents »

Lehman Brothers a donc rouvert la porte à Mao. De là à en conclure à son grand retour sur la scène chinoise, il y a évidemment un pas infranchissable. Le phénomène reste marginal, mais il rejoint des courants politiques plus significatifs qui ne sont pas sans influence sur la politique chinoise. Quelle réalité se cache derrière ce qu'on appelle ici la « nouvelle gauche » ? « Ses membres se retrouvent dans leur ensemble autour de la critique du modèle de croissance actuel et de ses conséquences sociales, avec plus d'inégalités et d'injustices, commente un observateur pékinois, mais après, il y a des courants très différents et il vaut mieux parler de mouvance. »

D'un côté du spectre, on retrouve les nostalgiques d'une ère maoïste où la société était plus égalitaire, moins injuste. Ceux-là sont prêts à défendre un modèle autoritaire qui suppose certes moins de liberté mais apporte plus de justice. À l'autre bout, des esprits plus proches des idéaux « sociaux-démocrates », qui demandent plus de démocratie et plus d'État de droit. Mais qui attaquent avec autant de véhémence les chantres du libéralisme économique. Le profil humain des « nouveaux gauchistes » réserve des surprises. Il y a bien sûr les vieux vétérans, drapés dans leurs nostalgies. Mais aussi et surtout toute une jeune garde - entre 30 et 50 ans - qui, étrangement, est souvent passée par les meilleures universités californiennes. Ceux-là ont été déçus par « l'ultralibéralisme occidental », la démocratie des « élites et des riches » et revendiquent en contrepoint une « démocratie socialiste, à la chinoise ».

« Le Capital » en comédie musicale

Le mouvement n'enfièvre bien sûr ni les villes ni les campagnes. Mais il entre en résonance avec les préoccupations d'une portion non négligeable de la population, d'où sa force. Les ruraux, mais aussi une frange de la classe moyenne qui souffre des déséquilibres de la croissance, des inégalités cuisantes et des tensions sociales. La santé, sujet sur lequel le gouvernement vient de lancer une grande réforme après s'être désengagé du secteur dans les années 1980, est ainsi un luxe inaccessible aux démunis. Et certains en viennent à regretter les « médecins aux pieds nus » de l'ère maoïste, système rustique mais qui avait le mérite d'exister. « Il est évident que le courant de l'extrême gauche et des nostalgiques du maoïsme prend de la vigueur, estime Hu Xingdou, professeur de sciences politiques au Beijing Institute of Technology, cela vient du fait que la corruption n'a cessé d'augmenter avec les réformes. Et que l'on n'a pas analysé de manière assez ferme les erreurs du maoïsme et de la Révolution culturelle. Il est urgent de le faire. » L'universitaire donne en exemple le site Internet de Chine nouvelle, où un forum de discussions est ouvert sur Mao et Deng Xiaoping. La « zone Mao » est très fréquentée et peuplée de commentaires exaltant ses exploits. La « zone Deng » déborde d'insultes et de critiques sur les réformes.

Les étudiants et jeunes cadres d'aujourd'hui sont certes plus préoccupés d'ascension professionnelle et sociale que de militantisme politique. Mais pour Hu Xingdou, l'impact politique indirect de la nouvelle gauche est loin d'être négligeable. « Ils nourrissent un courant antiréformes dans la population, explique-t-il, et les dirigeants actuels qui se font traiter de »traîtres* en tiennent compte. On le voit quand ils renforcent la censure sur Internet ou freinent sur certaines réformes, même s'ils s'évertuent à maintenir une voie centriste. »

Excessifs et marginaux, les militants de la « nouvelle gauche » n'en sont pas moins les voltigeurs de pointe d'une gauche qui, elle, monte réellement en puissance. Le courant conforterait donc la tendance « conservatrice » de la direction chinoise, pour qui les nécessités de contrôle social priment sur les libertés individuelles. La crise économique, il est vrai, a donné un grand coup sur la tête aux libéraux de « droite ». Et l'idée fait de plus en plus son chemin que le monde doit tenir compte d'un « modèle chinois », pas seulement sur le plan économique mais aussi politique. Un climat qui n'est pas favorable à des réformes en profondeur. Le grand discours prononcé par le président Hu Jintao en décembre pour les « 30 ans des réformes » aurait ainsi été élagué de grandes envolées réformatrices qui y figuraient initialement. Attaquée à droite et à gauche, l'équipe au pouvoir doit faire de subtils compromis.

La mouvance de la nouvelle gauche recoupe en partie les milieux nationalistes. Certains auteurs d'un livre qui fait fureur en ce moment, La Chine n'est pas contente, en relèvent ainsi. Le livre, bien argumenté, se serait vendu à un demi-million d'exemplaires en quelques mois. Les auteurs appellent à une « rupture conditionnelle avec l'Occident », à une approche « conquérante » des relations internationales et au rejet des « vents décadents » soufflant de l'Ouest. « Ils ont raison, affirme Yihe, un autre étudiant, le gouvernement fait une politique de droite et est aux mains des lobbies économiques qui n'ont pas de respect pour la culture chinoise. » Investissant le terrain culturel, justement, on a vu la gauche faire campagne il y a deux ans contre le magnifique film d'Ang Lee, Lust, Caution, parce qu'il glorifiait les traîtres, l'héroïne étant détournée de sa mission d'élimination d'un collaborateur des Japonais par amour.

À propos de spectacle, des producteurs chinois viennent de décider d'adapter en comédie musicale Le Capital, de Karl Marx, revenu à la mode en ces temps de crise. La pièce devrait être jouée à Shanghaï début 2010. Professeur d'économie à l'université Fudan de Shanghaï et conseiller de la production, Zhang Jun estime que « le spectacle aidera les gens de la rue à comprendre pourquoi la crise financière s'est produite ». L'idée serait venue du succès d'un manga japonais adapté du Capital cet hiver. Le capitalisme, décidément, est soumis à rude épreuve.

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