Un responsable de l'édition à Pékin vient d'annoncer que ses collègues étaient maintenant prêts à entrer dans le capital des maisons américaines et européennes, sans exclure les médias, allant jusqu'à avancer la somme de 10 milliards de yuans (plus de 1 milliard d'euros) disponibles en cash. Effets de manches ou cri de ralliement ?
La Chine poursuit en tout cas méthodiquement son ouverture à l'économie de marché et son intégration à la société du spectacle, à mi-parcours entre les Jeux olympiques de Pékin en 2008 et l'Exposition universelle à Shanghaï, en 2010. Dès octobre 2009, les écrivains chinois s'apprêtent à faire leur entrée en groupe sur la scène internationale, lors de la prochaine édition de la Foire de Francfort, dont la Chine sera l'invitée d'honneur.
L'annonce a été faite lors de rencontres professionnelles, Book China Forum, consacrées à l'expansion de l'industrie du livre en Chine et à son intégration au marché international. Ce séminaire, qui s'est tenu du 11 au 13 mai, a été organisé à l'initiative de Dana Ziyasheva, conseillère auprès de l'Unesco à Pékin, en partenariat avec le magazine China Publishing Today, et grâce au soutien des services du livre français et autrichien comme des British Council et Australian Council. Une trentaine d'intervenants, directeurs littéraires, chargés des droits, responsables du marketing, agents, traducteurs ou journalistes, ont pris part à ces débats - avec, du côté français, la présence des éditeurs Manuel Carcassonne (Grasset) et Patrice Hoffmann (Flammarion). Le premier mérite de ces rencontres aura été de lever un coin du voile qui recouvre un marché encore opaque, et dont les échanges à l'international restent modestes. A l'intérieur même de ses frontières, le marché chinois est déjà un géant de l'édition mondiale, qui regroupe 570 maisons d'édition contrôlées par l'Etat, 1 300 gérées par le secteur privé, 1 600 librairies. Chaque année, 250 000 titres paraissent en Chine, les " super-best-sellers " tirant en moyenne à 4 millions d'exemplaires. L'objectif de ce marché en expansion est d'atteindre un chiffre d'affaires de 33 milliards de dollars en 2011.
Ce marché méconnu et surdimensionné aiguise les appétits. C'est qu'en son sein le géant cache un véritable monstre : le marché des 15-25 ans, qui est train de modifier la donne en contribuant à faire émerger sur Internet de nouvelles pratiques éditoriales et peut-être un modèle économique insolite. Il existe en Chine 10 000 sites littéraires que consultent 400 millions d'internautes (dont 80 % écrivent sur le Net). Les chiffres de fréquentation avancés par Hou Xiaoqiang, directeur général de Shanda Literature Limited, qui gère 3 sites depuis 2008, donnent le vertige : 40 millions d'utilisateurs, 4 millions d'abonnés, 250 000 rédacteurs, 10 millions de clics par jour, un commentaire par seconde...
CHANTIER COLLECTIF
Les blogs d'écrivains les plus consultés au monde seraient ceux d'auteurs chinois, comme par exemple Guo Jingming, qui apparaît au 100e rang sur la liste des fortunes chinoises établie par le magazine américain Forbes, ou Han Han, mieux connu des internautes occidentaux.
L'élaboration d'un texte est assimilée à une sorte de chantier collectif, l'écrivain-rédacteur soumettant sa copie au fur et à mesure à ses lecteurs-critiques, dont les suggestions ou les exigences seront intégrées au feuilleton suivant. Les profits sont séquencés en deux temps : le lecteur est " aguiché " par des extraits en accès gratuit, puis " mis à contribution " pour des versions intégrales en accès payant (0,30 yuan le clic, débité directement sur le compte de l'utilisateur, les cartes de crédit n'étant pas répandues en Chine). Chez Shanda, les revenus sont partagés pour moitié avec les auteurs, certains d'entre eux étant même salariés (selon une échelle de salaires allant de 100 000 à 4 millions de yuans par an, le salaire annuel moyen s'élevant à 25 000 yuans).
Ce système, qui place le lecteur en contact direct avec l'auteur, répond à une aspiration légitime de la jeunesse chinoise à la libre expression, mais permet surtout à l'industrie du livre de tester la " marketabilité " des produits émergents, dans la plupart des cas des romances conventionnelles de qualité moyenne.
En bout de course, seuls les titres les plus téléchargés poursuivront une seconde carrière en version papier. Sites littéraires et maisons d'édition ferrent également le marché des jeunes grâce aux mooks, ces magazine books qui ont vu le jour au Japon et en Grande-Bretagne et rappellent les gazettes du XIXe siècle. Là encore, les récits sont élaborés de manière collégiale par des rédactions jeunes et réactives (24 ans de moyenne d'âge), qui captent l'air du temps à travers les milliers de Texto qui remontent de la rue, et qu'ils traduisent sous forme de romances-magazines, lesquelles ne deviendront jamais des livres.
Fabrice Rozié
© 2009 SA Le Monde. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire