Le monde selon Adler - Max Gallo
L'académicien a lu le nouveau livre de notre chroniqueur,
Alexandre Adler, où celui-ci tente de décrypter les grands enjeux géopolitiques contemporains. Comprendre la situation actuelle du monde, analyser les choix qui s'offrent aux nations, telle est la passion d'Alexandre Adler. Comme un grand maître du jeu d'échecs, il décrit la partie, envisage les issues possibles, et, de chroniques quotidiennes ou hebdomadaires en livres, il resserre ses prévisions. Il n'oublie jamais que plusieurs voies existent et que l'incertitude demeure. Et le titre de son essai - une phrase d'Héraclite Le monde est un enfant qui joue - souligne cette indétermination qui exprime la liberté humaine. Adler se souvient aussi de ce constat de Hegel : « L'Histoire avance mais d'abord par son mauvais côté, son potentiel de négativité. »
Nous sommes prévenus. La crise que nous vivons peut comme celle de 1929 déboucher sur une guerre. Mais peut-être pas ! En somme, la lucidité d'Adler, nourrie par son érudition, ne nous berce d'aucune illusion ; il y a ainsi une manière, un regard Adler que ses auditeurs et ses lecteurs reconnaissent. Adler scrute l'actualité, la décrit en dégageant les racines historiques les plus enfouies. Puis, créatif, imaginatif, parfois paradoxal, il formule ses hypothèses. Il a le courage de penser souvent à contre-courant. Il force ainsi à réfléchir. Cette « manière Adler » sous-tendait déjà ses trois essais précédents, dont les titres - J'ai vu mourir le monde ancien, L'Odyssée américaine, Rendez-vous avec l'Islam - scandent l'histoire des vingt dernières années.
De ces livres à ce dernier essai, une question demeure : « Que nous est-il arrivé avec le monde de l'Islam ? » Pour y répondre, Adler dégage la trame bien en deçà du 11 septembre 2001. C'est autour des années 1980-1990 que le monde islamique a basculé, que l'Amérique est devenue l'adversaire central.
Adler réévalue la réponse américaine à ce défi. Les États-Unis, dit-il, ont perdu la guerre antiterroriste, commis des erreurs, mais leur stratégie - ne pas heurter de front le Pakistan et l'Arabie saoudite, en finir avec l'Irak de Saddam Hussein - était une réponse cohérente. Elle permettait de faire surgir un acteur majeur, l'Iran chiite.
Pour Alexandre Adler, en effet, le Moyen-Orient est devenu le centre névralgique de la planète. « Aujourd'hui, tout, littéralement tout, dépend du Moyen-Orient. Celui-ci se tranquillise-t-il quelque peu et la mondialisation repart, comme reprennent les bénéfices immédiats de cette mondialisation en matière de richesses distribuées comme de démocratie conquise. Si au contraire tout bascule en Orient, c'est la planète qui se fissure en blocs potentiellement antagonistes. » Et dans ce noeud gordien, la relation Etats-Unis- Iran-Israël est décisive. Et selon Adler, sera fondamental le rapport qui va bien au-delà de la politique, entre les juifs et les chiites. Quelle sera l'attitude des États-Unis ? Obama saura-t-il, tel J.F. Kennedy, faire face avec détermination à une situation de crise, équivalente à celle des fusées soviétiques à Cuba en 1962 ? Ou bien sera-t-il semblable au sympathique Lindbergh, que le pacifisme aveugla face au nazisme ? Choix ouvert !
Même incertitude sur l'autre axe majeur du monde : la relation entre les États-Unis et la Chine. Pékin finance le déficit américain et permet ainsi aux États-Unis d'acheter la production chinoise. Cette complicité perdurera-t-elle ou bien cédera-t-on à la tentation de la confrontation ? Choix ouvert, comme il l'est en Europe. Selon Adler, l'Allemagne fait cavalier seul, « méprise les déficits de style américain que prônent à l'unisson Anglais, Français, Latins et Slaves. Il y a là les racines d'une grande explication collective où se jouera le sort de l'Europe ».
Mais l'essentiel, et Adler le souligne sans cesse, fasciné, c'est le Moyen-Orient. « Le centre du monde, écrit-il, est revenu quelque part entre Jérusalem et Nadjaf, Qôm et La Mecque, mais dans la crainte, la souffrance et non la réconciliation et l'émulation constructive ».
Pour nous faire prendre la mesure de l'enjeu, Adler donne la parole - prête sa plume à deux intellectuels, l'Égyptien Ayman Zawahiri - numéro 2 d'al-Qaida - et à Ahmed Ghalabi, chiite, ami des néoconservateurs juifs américains et véritable stratège de la guerre en Irak. On pourra contester cette « manière Adler » d'incarner les données géopolitiques. Mais ce dédoublement, cette incarnation, ne sont-ils pas le moyen de faire entendre la complexité des choix, les cohérences antagonistes : Adler rappelle de cette façon que la géopolitique est certes un « jeu d'échecs » mais dans lequel les pièces sont des hommes, donc des subjectivités, aveuglées souvent par leurs passions.
« Le monde est un enfant qui joue », d'Alexandre Adler, Grasset, 294 pages, 19 eur.
© 2009 Le Figaro. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire