DU FOND de sa tombe, Zhao Ziyang vient une fois de plus tirer la manche des dirigeants chinois. À trois semaines du XXe anniversaire de Tiananmen, l'annonce de la publication des Mémoires inédits du patron du Parti communiste évincé à l'époque est un joli lever de rideau. L'ancien numéro un du parti s'était opposé à la répression du mouvement étudiant de 1989.
L'histoire même de ces Mémoires est un roman. Après avoir été évincé de la direction communiste, Zhao avait été placé en résidence surveillée pendant quinze ans, jusqu'à sa mort à Pékin le 17 janvier 2005. Le livre est le fruit d'une trentaine d'heures d'enregistrement réalisé en secret, les cassettes étant ensuite transmises clandestinement à trois de ses proches et sorties aussi discrètement du pays. Le document va être publié ce mois-ci en anglais, sous le titre Prisonnier de l'État, par la maison d'édition Simon & Schuster. Pour la version chinoise, cela reste une affaire de famille. C'est le fils de Bao Tong, ancien bras droit de Zhao Ziyang, qui a passé sept ans en prison après 1989, qui va publier l'ouvrage à Hongkong.
Selon Bao Pu, qui dirige la maison d'édition New Century Press, Zhao n'avait pas laissé d'instructions mais voulait donner sa version des faits pour contester l'histoire officielle.
Témoigner pour l'histoire
De fait, Zhao Ziyang bat en brèche la version officielle d'un complot « contre-révolutionnaire » et de la répression inévitable d'une « bande de gangsters ». Dans son récit, on peut lire : « J'avais dit, à l'époque, que la plupart des gens nous demandaient de corriger nos imperfections et ne voulaient pas renverser le système politique. »
Après d'âpres débats et autant d'atermoiements, tout se joue le 18 mai, quand est prise la décision d'imposer la loi martiale. Zhao s'y refuse. « Je me suis dit que, quoi qu'il arrive, je refuserais d'être le secrétaire général du parti qui aura mobilisé la troupe pour tirer sur les étudiants », écrit-il.
La suite se lit sur un film émouvant. On se souvient de ces incroyables images où l'on voit Zhao Ziyang descendre au-devant des étudiants sur la place Tiananmen le soir du 19 mai 1989. Il les exhorte à rentrer chez eux, s'excuse, devant les caméras. « Nous sommes venus trop tard », finit-il par lâcher, les larmes aux yeux. Dans la nuit du 3 au 4 juin, le dirigeant réformiste vit le drame au plus près. « J'étais assis dans la cour de la maison avec ma famille, lorsque j'ai entendu des tirs nourris, raconte-t-il. Cette tragédie qui allait bouleverser le monde n'avait pu être évitée. »
Mais Zhao ne témoigne pas seulement pour l'histoire. Il voulait aussi passer son message pour l'avenir chinois, celui d'une transition progressive vers une démocratie à l'occidentale. « En réalité, c'est le système occidental de la démocratie parlementaire qui a fait la preuve de la plus grande vitalité, avance-t-il. Si nous ne prenons pas cette direction, il nous sera impossible de gérer les conséquences du passage à l'économie de marché en Chine. » À plusieurs reprises cette année, des responsables chinois ont affirmé que cette évolution vers les pervers systèmes politiques occidentaux était hors sujet.
Les Mémoires de Zhao ont donc toutes les chances de circuler sous le manteau en Chine. Sans faire sans doute un best-seller clandestin, tant le gommage officiel de ces événements dans l'histoire apprise par les jeunes générations a été efficace.
De La Grange, Arnaud
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