Lou Ye, 43 ans, le réalisateur chinois de Nuits d'ivresse printanière, jubile. Il a pu mener à bien son film sur l'homosexualité alors qu'il est, depuis 2006, sous le coup d'une interdiction de travail de cinq ans édictée par le Bureau du cinéma à cause de son précédent opus, Une jeunesse chinoise, diffusé à Cannes lui aussi. Rencontre.
«Pendant cinq ans, ni moi, ni le producteur d'Une jeunesse chinoise n'avons le droit de faire quoi que ce soit dans le domaine du cinéma. C'est aberrant et déraisonnable. Nous n'avons même pas le droit d'écrire un scénario. C'est une condamnation à mort artistique. Comment retravailler après cinq ans sans rien faire ? Dès 2006, j'ai dit que je ne respecterais pas cette interdiction parce que c'est une question de survie. Sinon, je fais quoi ?
«C'est assez facile de tourner dans la rue. Il y a toujours et partout quelqu'un en train de filmer avec une mini DV. C'est grâce à une de ces petites caméras passe-partout que j'ai pu faire le film. Ça me ramène à l'état primitif du cinéma : sans rails, sans lumières, sans rien. Beaucoup de gens, des anonymes, nous ont aidés. Le public chinois comprend mieux le cinéma que l'administration.
«Il faut que le Bureau du cinéma se détende et fasse confiance au public. Quant à moi, je ne veux pas m'autocensurer, je ne fais que mon métier, point. Finalement, ça va mieux depuis l'interdiction, car je n'ai plus aucun contact avec le Bureau. Je ne peux pas changer le système tout seul, ça prendra du temps. J'espère être le dernier réalisateur interdit de travailler. Pour l'instant, tout va bien, je suis à Cannes !
«L'homosexualité n'est plus vraiment un tabou. Il y en a de plus forts, comme celui dont traite mon précédent film [le massacre de Tiananmen, ndlr]. C'est à ça qu'on voit les progrès accomplis par la Chine, même s'il y a encore des réticences dues à la famille et à la tradition. Le pouvoir se comporte avec la société comme un père qui veut surveiller ses enfants alors qu'ils sont déjà grands. Les enfants l'envoient paître.»
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