Yves Mamou et Brice Pedroletti
L arrestation à Shanghaï de quatre cadres du groupe minier anglo-australien Rio Tinto accusés de «vol de secrets d Etat» relance la nécessité pour les industriels d anticiper ces nouveaux risques
Pour les grandes entreprises, l'arrestation à Shanghaï de quatre cadres du groupe minier anglo-australien Rio Tinto accusés de « vol de secrets d'Etat » (Le Monde du 10 juillet) a réactualisé la nécessité d'organiser une veille face à la montée des risques politiques liés à la mondialisation. Et cela même si le cas Rio Tinto apparaît comme une exception. « En Chine, ce sont des hommes d'affaires d'origine chinoise qui se retrouvent accusés d'espionnage pour le compte de Taïwan », constate un spécialiste des opérations avec la Chine.
Mais dans un pays où le politique et l'économique ne sont pas toujours clairement séparés, le moindre événement suscite des interrogations. En 2007, un dirigeant d'Areva a été retenu un mois en Chine comme témoin dans une enquête sur le vice-président de China Guangdong Nuclear Power Corp (CGNPC), soupçonné de prévarication. Areva, qui devait signer un contrat de 8 milliards d'euros avec CGNPC pour deux réacteurs nucléaires durant la visite de M. Sarkozy en Chine, s'est demandé si l'affaire ne dissimulait pas un moyen de pression.
La suite de l'enquête menée par les autorités chinoises a montré qu'il n'en était rien : le gouvernement gérait des affaires de corruption liées à des contrats Siemens.
Ces représailles qui mélangent l'économique et le politique peuvent se produire sous d'autres latitudes. En 2008, quatre oligarques russes qui souhaitaient reprendre le contrôle de la société pétrolière TNK-BP obtenaient de l'administration russe que Robert Dudley, PDG de la filiale, et plusieurs cadres dirigeants, soient privés de leur passeport et condamnés à l'exil.
Pour faire face à cette montée des risques, les grandes entreprises internationales ont ajouté à leur organisation de base (finance, ressources humaines, etc.) une fonction sécurité. Contre les arrestations arbitraires, le terrorisme, le kidnapping, l'extorsion, etc., des directions spécialisées ont été créées pour anticiper autant que possible l'émergence des violences « légales » ou illégales contre les biens ou les personnes.
Pour Jacques Franquet, ancien préfet, directeur de la sûreté et de la sécurité économique et patrimoniale du laboratoire Sanofi-Aventis depuis quatre ans, le risque politique se gère d'abord avec une veille aiguë sur l'information. « Nous sommes abonnés à des bases de données spécialisées sur l'analyse des risques pays et nous échangeons nos informations en permanence avec Bouygues, Carrefour, etc. », dit-il.
Quand des manifestations éclatent en Iran, le pays est classé rouge et tout déplacement est interdit. Mais s'il faut continuer d'alimenter l'Irak en médicaments, les déplacements se font en voitures blindées et gardes du corps. Au Pakistan, les déplacements sont codifiés : hôtels obligatoires, interdiction de se risquer dans certains quartiers... Et quand la guerre éclate entre Israël et le Hezbollah en 2006, le groupe utilise les services de sociétés militaires privées pour exfiltrer par la route les salariés du groupe coincés à Beyrouth.
Total, qui gère plusieurs milliers d'expatriés dans plusieurs dizaines de pays, a mis en place une direction de la sécurité qui regroupe une dizaine de spécialistes. Le groupe affirme aujourd'hui que son métier est l'exploration et l'extraction du pétrole, mais que sa valeur ajoutée est « la gestion des risques ». Pour un groupe dont les filiales sont, dans certains pays, les plus grosses entreprises du territoire, la sécurité s'obtient par une politique d'insertion dans le tissu local.
« On forme les gens à la culture locale, à la langue. Sur place, on se fond dans le paysage, on ne se déplace pas en voiture blindée avec garde du corps », dit un responsable du groupe. Il n'y a que dans des pays comme le Nigeria, où une guérilla sévit, que les familles sont exclues des missions exécutées par les expatriés. Mais cette mesure est récente. Les familles sont accompagnantes presque partout.
Areva, groupe spécialisé dans le nucléaire, a dû, en 2008, se féliciter de sa bonne connaissance des réseaux « coutumiers et politiques locaux » pour obtenir des rebelles touaregs du Niger qu'ils libèrent quatre salariés occupés à l'exploitation d'une mine d'uranium. Le groupe compte peu d'expatriés mais veille aussi à la sécurité des locaux : quand la veille médiatique révèle une montée des kidnappings au Kenya, des consignes sont diffusées pour demander aux salariés de réduire leurs déplacements et d'éviter toute manifestation ostentatoire.
Areva a aussi mis en place des « coordinateurs de protection » dans quatre pays et deux zones, le Moyen Orient et l'Amérique latine. Ces spécialistes de la sécurité sont d'anciens militaires travaillant en prestation de service. Lorsqu'il a fallu, en novembre 2008, exfiltrer des salariés de Mambaï en proie à une attaque terroriste d'envergure, c'est à eux que le groupe a fait appel.
Toutes les multinationales l'affirment : leur développement à l'international repose sur la « confiance » des salariés dans les mesures de sécurité prises par le groupe. Sans cette confiance, aucun développement sur le long terme ne serait possible. Jacques Franquet précise que cette confiance se construit aussi sur le fait qu'une « culture de la sécurité » est progressivement assumée par tous.
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