L'auteur, enseignant à Sciences Po Paris, explique les raisons de la révolte qui agite aujourd'hui le Xinjiang : les Ouïgours luttent pour le respect de leur culture
et de leur religion. L'étonnement semble le sentiment dominant à propos des récents événements au Xinjiang. L'Europe s'est sans doute trop habituée au visage souriant du dalaï-lama, et à la politesse d'un Tibet devenu attraction touristique. Mais justement, la réaction des Ouïgours, population turcophone musulmane, principale composante ethnique du Xinjiang peut être directement associée à l'échec du mouvement tibétain. Les Ouïgours opposés à l'influence de Pékin sur leur territoire ont pu constater qu'au mieux, avec la non-violence, on obtient le soutien moral de Richard Gere. Une bien maigre consolation quand un peuple se pense en danger d'extinction. Dans les années 1990 déjà, les Ouïgours ont fait entendre leur colère, des villes se sont embrasées, et une lourde répression a donné à Pékin un faux sentiment de sécurité.
Pour comprendre ce vent de révolte qui ne date pas d'aujourd'hui, il faut se mettre dans la peau d'un Ouïgour. Quotidiennement, un Ouïgour du Xinjiang a le sentiment de voir sa culture prise pour cible. Selon le rapport annuel de la Commission américaine sur la Chine, en 2008, le gouvernement régional du Xinjiang « [maintenait] les restrictions légales les plus dures concernant la pratique religieuse des plus jeunes ». Récemment, Radio Free Asia a parlé d'un orphelinat au Xinjiang qui représente toute l'ambiguïté de la politique chinoise : les enfants ouïgours y sont correctement traités et bien nourris. Mais on les force à abandonner leur identité ouïgoure, à prendre un nom chinois, à consommer du porc, et à oublier leur religion. Le personnel ou les enfants ouïgours s'opposant à cette politique sont sévèrement sanctionnés. Les Ouïgours sont également la cible des pires préjugés de la part des Hans. On a eu un exemple de ce racisme ordinaire largement répandu très récemment. En juin dernier, une rumeur affirmait que des ouvriers ouïgours d'une usine de Shaogan avaient violé deux femmes hans. Cette fausse nouvelle a provoqué des tensions ethniques particulièrement violentes, qui expliquent en partie l'explosion actuelle au Xinjiang. Or il semblerait que la véritable cause de l'explosion ethnique à Shaogan soit due au harcèlement sexuel des ouvrières ouïgoures par leurs supérieurs hans dans cette ville. Ce problème est considéré par les Ouïgours comme le symbole de leur constante humiliation. Alors que les Hans présents au Xinjiang profitent de l'évolution économique de la zone, les Ouïgours sont forcés de quitter leurs terres et à devenir une force de travail bon marché ailleurs en Chine, avec toute la précarité que cela implique. En dehors de Pékin, où l'harmonie ethnique est quasiment une réalité, la police chinoise est connue pour cibler systématiquement les Ouïgours. Et au Xinjiang même, le harcèlement policier ne vise pas les voleurs et les revendeurs de drogue, mais plutôt les petits commerçants de rue tentant de gagner leur vie. Fondamentalement, dans la peau d'un Ouïgour au Xinjiang, on ne se sent ni citoyen chinois, ni libre sur sa propre terre.
Pourtant, la vision binaire d'un simple champ de bataille divisé entre deux camps bien définis, Hans contre Ouïgours musulmans, est une erreur. Elle est liée le plus souvent à une lecture idéologique, qui vise à transformer l'un des camps, han ou ouïgour, comme celui du bien luttant contre le mal.
Tout d'abord, les Ouïgours ne sont pas les seuls musulmans du Xinjiang. On retrouve aussi dans la région, entre autres, un certain nombre de Huis, qui sont ethniquement hans, mais de confession islamique. Leur religion ne les a pas amenés à soutenir les Ouïgours, bien au contraire. La police, si souvent condamnée pour avoir eu la main lourde au Xinjiang, est souvent composée de Huis. Chercher un « choc des civilisations », ou la main du terrorisme islamiste, dans ce qui s'est passé récemment n'a donc aucun sens. Les partisans ouïgours du djihad existent, bien sûr. Certains ont combattu aux côtés des talibans, et se trouvent aujourd'hui dans les Zones tribales pakistanaises. Mais ils n'ont rien à voir avec les événements récents, plus proches d'une explosion spontanée que d'une logique terroriste planifiée.
L'évolution de la situation va totalement dépendre du gouvernement chinois. Une véritable campagne nationale devrait être menée pour lutter contre le racisme ordinaire dont sont victimes les Tibétains, les Ouïgours, les Mongols, et les autres minorités du pays. Des sanctions sévères devraient viser les officiers de police et autres responsables usant de leur position d'autorité pour maltraiter ou humilier un homme ou une femme membre d'une des minorités présentes en Chine. La vérité est qu'il n'y a pas besoin d'un complot de l'étranger pour que les Ouïgours ou les Tibétains se révoltent. Tant qu'ils ne se sentiront pas acceptés à part entière, avec leurs spécificités culturelles, comme des citoyens à part entière, les troubles continueront. Et une répression policière classique ne fera que transformer les émeutiers ouïgours d'aujourd'hui en terroristes, nationalistes ou islamistes, demain.
© 2009 Le Figaro. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire