lundi 31 août 2009

LITTÉRATURE - "La dure loi du Karma" de Mo Yan

Les Echos, no. 20499 - Entracte, mardi, 1 septembre 2009, p. 13

Mo Yan a de l'appétit. A cinquante-quatre ans, il mitonne une oeuvre littéraire succulente, gargantuesque pyramide hérissée de gargouilles aussi drôles que monstrueuses. Du haut de sa cathédrale, ses lecteurs observent, volume après volume, le bouillonnement de la Chine.

« La Dure Loi du karma » débute en enfer. En 1950, Ximen Nao, notre héros, est déjà mort. Après quelques supplices, il retombe sur terre sous forme d'âne. C'est le début d'un « karma » qui le verra réincarné en boeuf, cochon, chien et singe, toujours dans le même village. Au fil de ses péripéties, il regarde évoluer la communauté paysanne. Selon les époques, on s'affronte, on s'aime, certains perdent tout et d'autres font fortune... soit cinquante ans d'histoire de Chine, du maoïsme aux clinquantes vitrines contemporaines.

Fable

« La Dure Loi du karma » est une fable immense, qui traite entre autres de l'adaptation. En effet, le héros commence toujours par se plaindre de son sort, mais l'accepte et finit par transcender sa triste condition. Il deviendra un âne merveilleux, un cochon courageux... Le livre alterne brefs chapitres, comptines, poèmes, chansons et extraits d'oeuvres (imaginaires) de Mo Yan. Car l'auteur se trouve être l'un des personnages du roman ! Les narrateurs s'enchaînent, les situations rocambolesques se succèdent. Ici, par exemple, un moment d'intense érotisme animalier : « Je me dresse telle une montagne, enserre ses reins de mes deux pattes, puis me hisse. » Et là un épique combat de porcs, façon « Tigre et Dragon » .« La Dure Loi du karma » comporte aussi des insultes piquantes et fleuries. A un gars trop ambitieux, on conseillera : « Pisse un coup et mire-toi dans la flaque ! ». Mo Yan se rit de son propre style.

« La Dure Loi du karma » relève de la bonne cuite au « mei kwei lu » (eau de vie de prune) entre copains. A la fin, heureux et épuisé, le lecteur quitte le banquet, comme au ralenti. Dans le flou flotte à ses côtés le visage tout rose et tout souriant de l'auteur : « Ce soir, Mo Yan est ivre après avoir bu un seul bol d'alcool. Avant que, sous les vapeurs de l'alcool, il n'ait le temps de tenir des propos extravagants, le colosse Sun le Léopard le saisit par le cou et le traîne dehors, il le jette près de la meule de foin pourrie, ce petit drôle s'endort du sommeil de l'ivresse, affalé sur les os brillant de phosphorescences vertes des cochons des monts Yimeng morts pendant l'hiver ; sauter à la perche dans la lune, c'est sans doute le doux rêve que ce petit drôle a fait à ce moment-là. »Un rêve qu'il nous donne en partage. Car Mo Yan est un généreux croquemitaine.

ADRIEN GOMBEAUD

Note(s) :

Traduction de Chantal Chen-Andro. Seuil, 761 pages, 26 euros.

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