mardi 8 septembre 2009

Cette année, le ramadan est made in China - Akher Saa

Courrier international, no. 983 - Moyen-Orient, jeudi, 3 septembre 2009, p. 29

(Le Caire) - Nous revoici au mois du ramadan, avec ses traditions et ses coutumes. Les Egyptiens ont fait des stocks de denrées alimentaires en prévision de la flambée des prix qui se produit chaque année. Toutefois, sur les marchés, quelque chose a bien changé. Cette année, le ramadan est chinois, du chapelet de prière jusqu'aux boîtes de fèves [ingrédient de base du plat populaire par excellence, le foul]. Le produit le plus emblématique du ramadan égyptien est évidemment le lampion. Là encore, surprise. Auparavant, il était fabriqué localement et fonctionnait à la bougie, mais, depuis deux ans, la Chine a envahi le marché avec des lampions qui ressemblent à s'y méprendre aux originaux mais qui fonctionnent avec des piles. Les lampions traditionnels sont devenus rares, et l'on n'en voit plus guère qu'aux entrées de restaurants, de salles des fêtes, d'hôtels ou de magasins. Pour nous autres quidams, tout est 100 % chinois.

Cette invasion n'est qu'un début. Quand les Chinois ont compris que les portes du pays leur étaient grandes ouvertes, ils ont étudié les besoins du marché et se sont mis à exporter des tapis de prière, des chab-chab [tongs] qu'on porte pour faire ses ablutions et des tuniques blanches. Celles-ci ont remplacé les gallabeya traditionnelles, qui sont désormais réservées à la campagne profonde. Par le passé, l'ambre ou le bois de santal odorant caressaient les mains immaculées des croyants.

Les Chinois finissent toujours par emporter le morceau

Désormais, c'est avec de fausses perles chinoises qu'on fabrique les chapelets. Petit à petit, ces produits ont accaparé le marché. Désormais, tout est chinois, "de l'aiguille jusqu'à la fusée", comme ils disent. C'est tout de même curieux que les Chinois se soient lancés dans cette course effrénée à la conquête du marché lié au ramadan. Ils défient même la Syrie et la Turquie, qui détenaient jusque-là le marché des fruits secs (abricots, pignons et amandes), voire le Soudan, grand exportateur de fèves. Il ne reste plus qu'à faire du chinois la langue officielle du ramadan.

Des journalistes se sont promenés dans le quartier cairote d'Al-Azhar, là où se trouve la plus forte concentration de produits importés. Ils ont demandé aux gens ce qu'ils pensaient de ce phénomène. Hassan travaille dans l'import-export. Pour lui, les Chinois finissent toujours par emporter le morceau quand ils ont décidé de se lancer dans la compétition. Ils étudient à fond le marché afin d'adapter leur production. Ils ont examiné le pouvoir d'achat des Egyptiens et ont compris que le peuple était toujours à l'affût de produits bon marché et ne faisait pas attention aux critères de qualité. Ahmad est vendeur ambulant de chapelets et d'encens. "C'est fini. Tout est chinois, même l'encens qui faisait la réputation de l'Inde. La Chine lui a tiré le tapis sous les pieds", soupire-t-il, assis à la sortie d'une mosquée. Mohamed, fabricant de lampions, est amer. "Les produits chinois ont sonné le glas de beaucoup d'ateliers égyptiens et ruiné des familles entières. Beaucoup ont dû changer de métier. Maintenant, ils vendent les produits qui ont signifié leur perte, ces lampions qui n'ont aucune identité propre. Les Chinois ont même osé fabriquer des lampions à l'effigie de l'inspecteur Corombo [figure populaire d'un dessin animé à la télévision égyptienne]. Ils se sont permis de l'exploiter, et personne ne réussira à leur faire un procès pour ça. Imaginez si un Egyptien avait osé le faire : ç'aurait été un tollé sans fin. C'est malheureux, mais nous n'arrêtons pas de nous diviser et de nous quereller entre nous", explique-t-il.

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