jeudi 3 septembre 2009

En Chine, le Parti communiste multiplie les campagnes anticorruption - Brice Pedroletti


Le Monde - International, vendredi, 4 septembre 2009, p. 7

A moins d'un mois des festivités du 60e anniversaire de la République populaire de Chine (RDC), le 1er octobre, le bilan de l'administration Hu Jintao en matière de lutte anticorruption est haut en couleur. Le dernier haut responsable a être tombé est le vice-président de la région autonome du Guangxi, dont la condamnation à dix-huit ans de prison, pour avoir détourné plusieurs millions de yuans, a été annoncée, mardi 1er septembre. Ont aussi chuté ces derniers mois, le maire de Shenzhen(PHOTO) (8 millions d'habitants), le vice-président de la Cour suprême, ou le patron du nucléaire chinois.

La corruption, qui a fait tomber des dynasties, ne fait pas pour rien partie des priorités de l'Etat-parti. Les Chinois, dont c'est la principale préoccupation, la subissent localement, dans les fiefs d'apparatchiks où elle est endémique. Ils la dénoncent dans les contrats publics mirifiques accordés à des sociétés publiques à la gestion opaque, ou dans la largesse des banques envers certains groupes privés.

Plusieurs dominantes se font jour dans le grand nettoyage en cours : dans le Guangdong (sud), c'est l'arrestation, fin 2008, de Huang Guangyu, le patron du géant privé de distribution Gome, qui a fait tomber plusieurs dirigeants et hauts fonctionnaires - alors que ce type d'enquête reste en général circonscrit à un individu et à sa famille.

Erigée en exemple, la vaste campagne antimafia menée dans la municipalité de Chongqing (centre) a révélé les protections à très haut niveau dont les Triades et des hommes d'affaires ont bénéficié parmi la police locale et la justice.

Les secteurs de l'énergie et les sociétés d'Etat, où les sommes en jeu sont colossales, sont remis au pas - comme autrefois le secteur bancaire ou l'immobilier. L'affaire Rio Tinto, du nom du groupe minier anglo-australien, qui a conduit à l'arrestation d'un Australien soupçonné de corruption, mais aussi de cadres chinois d'entreprises publiques clientes du géant minier, est un autre tournant. " Le gouvernement ne peut plus ignorer la dimension transnationale de la corruption, qui implique des sociétés étrangères en Chine, et à terme des sociétés chinoises à l'étranger. Il y aura davantage d'actions dans cette direction ", explique Jian Renming, directeur d'un Centre d'études sur la lutte contre la corruption à l'université Tsinghua, à Pékin.

Classée au 72e rang au baromètre 2008 de l'ONG Transparency International, qui mesure la perception de la corruption parmi les habitants d'un pays - une note peu différente des années précédentes -, la Chine fait pourtant des progrès réels dans la lutte anticorruption, soutient Ran Liao, coordinateur pour la Chine de l'ONG. " Il y a un très fort engagement politique. Tout un arsenal juridique se met en place. Nombre des outils et des pratiques internationales ont été adoptés en Chine ", dit-il.

" Opacité "

La commission disciplinaire centrale du Parti communiste (elle mène des enquêtes en interne avant de déférer à la justice des suspects immanquablement coupables) et le ministère de la supervision, qui crée des cellules ad hoc sur certaines affaires, jouent un rôle-clé dans les campagnes anticorruption. Le National Bureau of Corruption Prevention (NBCP), lui, s'occupe du secteur privé.

Les commissions anticorruption, qui existent à tous les niveaux de l'administration, sont souvent contraintes par la hiérarchie du parti. Aussi, déplorent les experts, ce manque d'indépendance et les luttes intestines du parti, discréditent-ils la lutte anticorruption dans son ensemble. " Il n'y a pas de réel organisme central de la lutte anticorruption, donc celle-ci fluctue au gré des luttes politiques, au lieu d'obéir à des lois. Le résultat est loin d'être idéal. En dépit de vingt ans d'opérations constantes de lutte anticorruption, on ne peut pas dire que celle-ci a vraiment été endiguée ", constate M. Ren.

" Ces campagnes anticorruption n'ont rien d'inhabituel. Le problème, c'est leur opacité. Vous avez une kyrielle d'organisations en charge de la corruption, mais in fine, elles dépendent du parti et la décision est toujours politique ", explique au Monde l'universitaire sino-américain Pei Minxin, qui a réalisé en 2007 une étude, pour le Carnegie Endowment For Internationl Peace, sur la corruption en Chine. Il y estime qu'un officiel corrompu chinois " n'a en moyenne que 3 % de chance de se retrouver en prison ", ce qui fait de la corruption " une activité très lucrative et peu risquée ". " Une réforme politique introduirait de la concurrence. Avec une presse plus libre et une justice indépendante, vous avez des outils très puissants pour décourager la corruption. Mais ils sont à double tranchant, ils menacent la suprématie du parti ", conclut M. Pei.

Brice Pedroletti

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