jeudi 3 septembre 2009

ANALYSE - Illusions chinoises - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20501 - Idées, jeudi, 3 septembre 2009, p. 12

Encore une fois, la Chine a fait mentir ses détracteurs. Il y a tout juste un an, nombre d'experts étrangers annonçaient la faillite du modèle économique modelé par Pékin. Ils assuraient que la crise financière mondiale et le ralentissement brutal du commerce international sur lequel avait prospéré depuis les années 1980 les entreprises chinoises allaient saper la dernière légitimité du pouvoir communiste, ne survivant plus que sur sa seule capacité à générer une poussée continue de son produit intérieur brut. Sans croissance, l'explosion sociale était inéluctable et le changement politique enfin envisageable. A Pékin, le gouvernement reconnaissait, lui-même, la dangerosité de la dégradation de la conjoncture mondiale et décidait d'agir vite et fort pour sauver son économie, en lançant un plan de relance présenté comme gigantesque : 4.000 milliards de yuans (404 milliards d'euros). Au regard des dernières statistiques, les autorités chinoises auraient réussi leur pari.

Au cours du deuxième trimestre, la croissance chinoise a atteint, en glissement annuel, 7,9 %, quand la plupart des grands pays industrialisés restaient, eux, englués dans la récession. Les économistes, chinois comme étrangers, sont désormais convaincus que le pays enregistrera sur l'année une hausse de PIB supérieure à 8 %. Si les exportations de produits « made in China » sont toujours mesurées, en baisse de plus de 20 % par rapport à l'an dernier, beaucoup d'autres indicateurs sont en pleine santé. Les investissements en capital fixe ont bondi en zones urbaines de 33,6 % sur un an au premier semestre. Longtemps déprimés, les indices des directeurs d'achats montrent depuis le début de l'été une reprise de l'activité manufacturière. Plus de 12 millions d'emplois pourraient d'ailleurs être créés cette année dans le pays. Rasséréné par ces données, le marché immobilier est reparti sur des bases record. A Shanghai, la Bourse a progressé de 84 % entre janvier et début août, avant d'enchaîner plusieurs semaines de mouvements confus. Un doute a soudain saisi les investisseurs les moins enivrés.

Cette euphorie est-elle justifiée ? Si sur le papier la croissance chinoise a apparemment retrouvé sa forme, elle a, presque exclusivement, été générée, depuis le début de l'année, par les colossaux investissements publics ordonnés par le pouvoir et par les 7.370 milliards de yuans de prêts concédés par les obéissantes banques d'Etat du pays. Depuis le début de l'année, des constructions de nouvelles infrastructures ont été lancées par toutes les collectivités locales. Plus de 110 chantiers d'autoroutes ont été inaugurés au cours du premier semestre. D'ici à 2012, le réseau de chemin de fer chinois devrait croître de plus de 25 % et l'an prochain le pays inaugurera son 190 aéroport.

Ces chantiers qui ont permis d'absorber, à court terme, des millions de travailleurs sont censés accélérer la modernisation du pays et préparer, notamment dans les provinces reculées, la croissance de demain. Mais la surenchère des projets, l'absence de coordination entre les différentes collectivités, qui veulent toutes battre des records de PIB, et les traditionnels détournements de fonds pèsent sur l'efficacité réelle de la stratégie chinoise. Les banques, qui ont largement financé l'effort national, commencent à s'inquiéter. A demi-mot, elles reconnaissent que certains de leurs créanciers ont peut-être surestimé le retour sur investissement de leurs projets ou ont simplement utilisé les fortunes trop facilement prêtées pour tenter leurs chances sur les marchés boursier et immobilier survoltés. Depuis quelques semaines, le fantôme des créances douteuses est de retour, mais Pékin ne veut rien entendre.

Dans la panique, le pouvoir communiste a choisi une relance quantitative plutôt que qualitative. Plutôt que de profiter de la crise pour activer un rééquilibrage de sa croissance trop dépendante des exportations, le gouvernement a préféré geler l'appréciation du yuan et renouer avec ses vieilles recettes de relance par l'investissement public, louées pour leur efficacité à court terme. Les grands groupes d'Etat, inondés de liquidités, ont accru leur pouvoir et repris leur course à la surcapacité quand les entreprises privées se retrouvaient, elles, abandonnées dans la crise. Les ménages, que l'exécutif avait promis de mettre au coeur de son projet de « société harmonieuse » afin d'encourager la demande intérieure, n'ont profité que de quelques bons d'achat pour s'offrir des réfrigérateurs et d'une baisse de taxe sur les voitures de petites cylindrées. Faute de réformes fiscale et sociale ambitieuse, ils se retrouvent toujours seuls pour faire face aux accidents professionnels et médicaux de la vie et ont, dans la crise, choisi de doper encore plus leur épargne.

A la fin de l'année, le gouvernement chinois pourra célébrer une hausse de PIB éclatante, qui rapproche le pays de la place de seconde puissance économique mondiale, mais il se retrouvera, dans le même temps, confronté à une croissance plus déséquilibrée que jamais. Si les exportations de marchandises « made in China » ne retrouvent pas en 2010 leur dynamisme passé, Pékin sera contraint d'envisager un nouveau plan de relance ou devra, enfin, se résoudre à s'attaquer aux complexes réformes sociale et monétaire dont le pays a urgemment besoin.

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