jeudi 3 septembre 2009

Le permis de résidence, un casse-tête chinois - Nanfang Zhoumo

Courrier international, no. 983 - Asie, jeudi, 3 septembre 2009, p. 27

(Canton) - "Le mariage est un droit ! Alors, pourquoi celui qui ne peut pas acheter un logement n'a-t-il pas le droit de se marier ?" demande Yang Lei. Cette diplômée de l'université de Pékin a obtenu un hukou [certificat de résidence] collectif au Marché de l'emploi [institution qui prend en charge les travailleurs originaires d'autres villes] de Canton lorsqu'elle a commencé à y travailler. En Chine, toute personne inscrite au registre collectif d'une institution doit en être radiée au cours du mois suivant son mariage, car elle obtient un certificat familial à la place. Pour décrocher ce hukou familial, Yang Lei doit donc être domiciliée sur place. Mais les prix de l'immobilier sont très élevés à Canton ; malgré son bon salaire de 8 000 yuans [800 euros], Yang Lei et son compagnon n'ont pas les moyens d'y acheter un logement et ne peuvent donc pas s'y "installer". Compte tenu de cette situation, le Marché de l'emploi, son institution de rattachement, refuse de donner à Yang Lei son hukou [qui sert de certificat d'état civil]. Sans ce document, le Bureau des affaires civiles refuse de lui accorder un certificat de mariage. Yang Lei ne peut donc pas se marier !

Un statut flou entre temporaire et permanent

Le hukou collectif est un permis de résidence attribué aux personnes qui sont amenées à résider ensemble dans une institution, une organisation, une école, une entreprise, un établissement d'utilité publique ou une résidence universitaire. C'est donc un permis de résidence intermédiaire entre permis de résidence temporaire et permis de résidence permanent [il est indispensable pour les travailleurs migrants]. En revanche, le hukou familial concerne les personnes ayant des liens d'alliance ou de sang. Selon des statistiques incomplètes, il y aurait actuellement plusieurs dizaines de ­milliers de titulaires de hukou collectifs à Canton. Si ceux-là n'ont pas les moyens d'acheter un logement et qu'ils souhaitent se marier, ils se retrouveront dans la même impasse que Yang Lei. Mais, même si le Marché de l'emploi finissait par lui rendre sa carte de hukou pour qu'elle puisse se marier et si elle venait à mettre au monde un enfant sans pouvoir attester d'un domicile sur place, son enfant deviendrait alors un "résident illégal" ou, comme on les appelle plus communément, un "hukou noir" [avec, entre autres conséquences, des difficultés d'accès à l'éducation et aux services de santé].

Depuis 1992, il est de plus en plus courant, y compris à Pékin, d'autoriser les parents de l'enfant à choisir où ce dernier sera domicilié. En général, c'est le lieu où sa mère ou son père possède un permis de résidence permanent. Mais de nombreuses villes continuent d'appliquer l'ancien système du hukou ­collectif, qui veut que l'on soit propriétaire d'un logement dans la ville où l'on réside pour pouvoir y domicilier son enfant. Mais, même si cette condition est remplie, elle n'est pas toujours suffisante. Il se peut que le titulaire d'un hukou collectif, bien que propriétaire d'un logement, ne puisse pas non plus obtenir de permis de résidence pour son enfant.

Lu Xinxin, qui habite à Pékin depuis cinq ans, est titulaire d'un hukou collectif lié au Marché de l'emploi de Wuhan [dans le centre du pays] depuis qu'elle est sortie diplômée de l'université. Son mari est chercheur à l'Académie des sciences de Pékin, et tous deux ont acheté un logement à Pékin. Mais, dans la mesure où son mari est sur le point de partir mener ses recherches à l'étranger, le hukou collectif de ce dernier est rattaché au Centre de services aux étudiants à l'étranger, à Pékin. Or, selon les règles en vigueur à Pékin, ce type de hukou collectif étudiant ne permet pas à son titulaire de prétendre à un hukou familial, même s'il est propriétaire d'un logement. Peu avant le départ de son mari à l'étranger, Lu Xinxin a découvert qu'elle était enceinte. Avec son époux, elle voudrait emmener l'enfant à l'étranger après sa naissance. Mais, pour que l'on puisse lui délivrer un passeport, il faut d'abord que l'enfant soit inscrit sur un hukou ! Or le hukou collectif de Lu Xinxin ne peut être transformé en hukou familial à Wuhan, et la seule solution serait qu'elle s'inscrive sur son propre lieu de naissance, à Lianyungang, dans le Jiangsu [à près de 700 kilomètres au sud de Pékin]. "C'est complètement absurde !" lâche-t-elle.

Il entrave la mobilité des personnes

Les nouveaux migrants qui sont plongés dans cet imbroglio soulignent la responsabilité du Marché de l'emploi. Prenons une de ces institutions, qui compte plus de 40 000 hukou collectifs. Chaque année, quelques dizaines de milliers de nouveaux diplômés originaires d'autres localités se retrouvent inscrits sur ses registres collectifs, tandis que seuls quelques centaines d'entre eux peuvent acheter un logement. "Personne ne souhaite retourner à la campagne et il est de toute façon très difficile de transformer un hukou urbain en hukou rural", confie Li Yinghui, responsable d'un Marché de l'emploi. Résultat, plus de 40 000 personnes ne peuvent pas se marier ! "La politique de l'enregistrement de résidence est si rigide qu'il est beaucoup plus facile d'accepter des inscrits que de les faire partir. Et puis, il y a la politique nationale du contrôle des naissances qui, telle une épée de Damoclès, est suspendue au-dessus de nos têtes, explique-t-il. Si jamais un couple a plus d'un enfant, je serai le premier à être limogé."

Aux yeux de Liu Erduo, professeur à l'Institut de l'emploi et des ressources humaines rattaché à l'université du Peuple, ce problème reste insoluble car le hukou collectif reste jusqu'à présent le principal moyen de contrôle de la population qui arrive en ville. "Le hukou collectif est un hukou de transit, et chaque ville se sert très habilement de ce dernier pour limiter le flux entrant de population", assure-t-il. L'inégale répartition des ressources publiques entre la ville et la campagne n'ayant fait que s'aggraver au cours de ces dernières années, la déclaration de domicile et les avantages sociaux sont devenus de plus en plus indissociables [les villes veulent réserver les avantages sociaux à leur population autochtone]. Ainsi, à Pékin, pour pouvoir acheter une ampoule basse consommation, pour qu'une femme puisse accéder au dépistage du cancer du sein ou qu'une personne âgée puisse se promener dans les parcs sans payer, il faut qu'elles soient titulaires d'un permis de résidence permanent. D'après Wang Taiyuan, professeur à l'université de la Sécurité publique du peuple de Chine et spécialiste en matière de domiciliation, il faudrait que cette formalité retrouve sa fonction première, c'est-à-dire "l'enregistrement, les statistiques et le contrôle des informations essentielles relatives à la personne". Il faut cesser de s'en servir pour contrôler chaque secteur de la société et notamment celui des avantages sociaux.

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