jeudi 3 septembre 2009

Les 60 000 habitants de Wanshan empoisonnés au mercure

Courrier international, no. 983 - Ecologie, jeudi, 3 septembre 2009, p. 50

(Pékin) - Dans le village de Tuping, dans l'est de la province du Guizhou, dans la zone économique spéciale (ZES) de Wanshan, Wu Yangchun, 76 ans, est assise près de la fenêtre. Comme tous les membres de sa famille qui habitent le village, Wu Yangchun et son mari ont sacrifié leur jeunesse à la mine de mercure voisine. En 1997, son mari, qui travaillait en première ligne à la fonte des métaux, a succombé en trois mois à un cancer foudroyant du rhino-pharynx. L'agent pathogène incriminé : l'énorme quantité de vapeur de mercure produite au cours du processus de fonte du métal qu'il a respirée.

Sept ans plus tard, Wu Yangchun emboîte le pas à son mari. Comme elle travaillait au triage des minerais, ses voies respiratoires n'ont pas subi l'agression directe des vapeurs de mercure. Mais s'agit-il vraiment d'une chance ? Difficile à dire. Car dans son cas cela signifie que les ravages liés au métal vont la ronger à petit feu. Wu Yangchun nous montre deux certificats médicaux rédigés par le Centre de prévention et de contrôle des maladies du Guizhou sur lesquels figure un diagnostic sans appel : "Intoxication chronique au mercure dans le cadre professionnel."

La famille de Wu Yangchun n'est pas la seule à avoir été anéantie. Ces deux ou trois dernières années, rien que dans son immeuble, nous a-t-elle révélé, 15 personnes sont mortes d'une intoxication au mercure. Selon les estimations du département local de la santé publique, sur les 60 000 personnes qui peuplent la ZES de Wanshan - le site de production de mercure le plus ancien et jadis le plus important de Chine -, plus de 200 présenteraient les symptômes d'une intoxication au mercure plus ou moins sévère. Ce chiffre ne tient pas compte des personnes qui y ont déjà succombé, ni des malades potentiels chez qui les signes de cet empoisonnement ne sont pas encore visibles.

Par le passé, la ZES de Wanshan a été surnommée à raison la "capitale chinoise du mercure". En effet, ses réserves de ce métal étaient considérées comme les premières d'Asie et les deuxièmes du monde. A son apogée, la production annuelle du site a atteint 70 % de la production nationale. Mais, à la fin des années 1980, les réserves ont commencé à s'épuiser. Et, à la fin des années 2000, les mines de mercure du Guizhou accumulaient un déficit d'exploitation de près de 100 millions de yuans [environ 10 millions d'euros] et des dettes s'élevant à 157 millions de yuans [quelque 16 millions d'euros]. En mai 2005, une décision politique ordonne la mise en faillite et la fermeture de tout le site minier du Guizhou, exploité depuis près de six cents ans. Reste aux 10 000 mineurs du site ainsi qu'aux 60 000 habitants de la ZES à réaliser le prix à payer pour leur gloire passée : une dette environnementale très lourde. Car l'exploitation minière a eu des répercussions catastrophiques sur la forêt, les nappes phréatiques et la géographie du site dans son ensemble. Selon Tian Hongchang, directeur du Bureau de protection de l'environnement de la ZES, tout le minerai situé entre 100 et 150 mètres de ­profondeur a été extrait. "A certains endroits, c'est jusqu'à sept strates de ­mi­nerai qui ont été extirpées, et les strates les plus minces, qui ne faisaient que 7 ou 8 mètres d'épaisseur, n'ont été étayées que par quelques gros piliers." Et il ajoute : "On peut dire que Wanshan est une ville en péril qui vacille sur une gigantesque zone d'anciens travaux." Malgré cela, le problème de pollution de la zone de Wanshan est si grave qu'il le préoccupe encore davantage.

L'eau et les choux sont désormais toxiques

Durant les quarante-cinq années qui se sont écoulées entre la période de gloire et le déclin, ce sont en tout 20,2 milliards de mètres cubes de vapeur résiduaire contenant du mercure, 4,26 millions de mètres cubes de résidus industriels et 52 millions de tonnes d'eaux usées qui ont été évacués, ces chiffres étant respecti­vement 5 449, 236 et 214,5 fois supérieurs aux limites autorisées. Et, comme de surcroît ces déchets ne font l'objet d'aucun traitement, la quantité de mercure ainsi rejetée directement dans l'environnement reste très élevée. Selon les estimations de Liu Shuiping, ancien directeur du Bureau de protection de l'environnement de Wanshan, cette quantité atteindrait au bas mot 350 tonnes, soit environ 10 % de la totalité des déchets de mercure qui polluent chaque année la planète !

L'année de la faillite des mines de mercure dans le Guizhou, des contrôles et des enquêtes effectués par des organismes de la province tels que l'institut de médecine de Zunyi, l'Institut de recherche en science environnementale et l'Institut de recherche sur la santé des travailleurs ont montré que, sur ce site minier, la concentration de mercure dans l'air s'élevait à 5, 3 μg/m3, soit une concentration 1,67 fois supérieure à la norme. Les tests effectués montrent également que la quantité de mercure présente dans l'eau de consommation est 36 fois supérieure à la norme. Résultat : les principales cultures agricoles de la région sont affectées à des degrés divers par cette pollution. Ainsi les petits choux chinois contiennent-ils une quantité de mercure 100 fois supérieure à la normale. Le maïs, qui, d'après les tests effectués, est la culture la moins touchée par cette contamination, présenterait une quantité de mercure encore 10 fois supérieure à la normale.

En 2004, les recherches menées par l'Institut de prévention et de traitement des maladies professionnelles de la province du Guizhou montraient que, le gouvernement ayant refusé cette année-là de limiter la consommation de riz, de légumes et autres aliments exposés à cette pollution, le taux d'intoxication des citadins et des paysans a atteint 4,18 %, alors même qu'ils n'avaient pas participé directement à l'exploitation des mines. La région détiendrait ainsi le taux d'incidence national le plus élevé en ce qui concerne les maladies lithiasiques ­[formation de concrétions minérales dans un conduit de l'organisme] et un taux anormalement élevé de cancers. Aujourd'hui encore, 90 % des produits maraîchers qui sont vendus à Wanshan proviennent de l'extérieur. "Ne pas boire l'eau du coin et ne pas manger les légumes du coin !" : tel est l'adage désormais en usage pour qui vit à Wanshan !

La contamination voyage par le réseau fluvial

Mais 60 000 personnes, ce n'est finalement rien ; car les habitants de Wanshan ne sont pas les seuls à subir les conséquences de la pollution de leur région. Le rejet des eaux usées polluées au mercure, qui dure depuis le tout début de l'exploitation du site, il y a bien longtemps, a généré une pollution de grande envergure dans toute la vallée. Plus de 180 des 300 kilomètres carrés de celle-ci sont plus ou moins touchés et menacés par le mercure. En outre, ces lieux où ont été déversés les déchets industriels provenant de la production du métal n'ont pas fait l'objet de mesures de protection nécessaires quand il le ­fallait; ils continuent donc aujour­d'hui d'être à l'origine d'infiltrations ­massives.

Enfin, plus inquiétant encore : les cours d'eau de la zone de Wanshan convergent tous vers le bassin de la rivière Yuan, rivière qui fait partie du réseau hydrographique du Yangtsé. Ce qui signifie qu'une grande quantité de ce métal lourd hautement toxique qu'est le mercure descend ces cours d'eau pour parvenir jusqu'au lac Dongting, dans la province du Henan, et de là contamine le courant principal du Yangtsé. De nombreux spécialistes nous mettent d'ailleurs déjà en garde contre les effets de l'inexorable accumulation de mercure dans les sédiments fluviatiles.

En mai 2002, les mines de mercure du Guizhou ont bien été fermées. Mais, selon Tian Hongchang, l'augmentation brutale du cours du mercure sur le marché international ces dernières années a provoqué la reprise de l'exploitation par des méthodes locales traditionnelles. "La seule façon de lutter contre ce fléau est de fermer les mines sauvages dès que nous en découvrons l'existence et de conjuguer nos efforts pour mener ces enquêtes et poursuites judiciaires, car il sera très difficile de combattre le mal à la source."

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