La paranoïa d'un seul homme a plongé des centaines de millions de Chinois dans la folie et le chaos. Cette « Révolution culturelle prolétarienne » lancée par le Grand Timonier Mao Zedong durant l'été 1966 avait pour objectif affiché de « lancer une guerre civile nationale générale » contre « les éléments de la bourgeoisie qui se sont infiltrés dans le Parti, le gouvernement, l'armée et la culture », selon les propres mots de celui qui, dix-sept ans auparavant, le 1er octobre 1949, jour de la création de la République populaire de Chine, avait déclaré devant la place Tian An Men : « La Chine s'est levée ! »
L'oeuvre magistrale de deux sinologues américains, Roderick MacFarquhar et Michael Schoenhals, aborde avec modestie ce qu'ils appellent La Dernière Révolution de Mao, dédiant leur livre « à tous les Chinois dont les ouvrages et les propos sur la Révolution culturelle nous ont éclairés »... « et à la génération future d'historiens chinois, qui auront peut-être davantage de liberté pour mener leurs recherches et écrire sur ces événements ». Apportant une pierre indispensable à une meilleure compréhension et pour lever un nouveau voile sur « ce tournant dans l'histoire de la Chine contemporaine et de la Chine communiste », les deux chercheurs ont tout d'abord vécu en Chine continentale pendant de longues années pour « observer, écouter, enregistrer, compiler » des centaines de témoignages, « victimes, coupables, conteurs, fieffés menteurs, parents et aimables inconnus » (anciens gardes rouges, dirigeants de l'époque et leur famille, responsables des discours ou de la propagande, mais aussi victimes dans les provinces ou dans plusieurs grandes villes).
Plus de trente ans après les événements tragiques, certaines archives officielles chinoises ont été déclassifiées et les auteurs y ont eu accès. D'ores et déjà, on évalue à plus de 100 millions le nombre de Chinois affectés directement ou indirectement par les répressions et les violences durant cette période. D'anciens responsables chinois estimaient jusqu'à présent que le bilan total pourrait atteindre dix millions de morts (tués ou suicidés), mais les recherches les plus pointues publiées dans l'ouvrage indiquent que « le nombre de victimes ne dépasserait pas un million, s'il n'est pas inférieur ». MacFar quhar et Schoenhals soulignent toutefois que « beaucoup survécurent, quoique estropiés à vie, comme le fils de Deng Xiaoping (NDLR : le père des réformes et de l'ouverture à la fin de la Révolution culturelle) », défenestré par les gardes rouges.
Ainsi, dans leur étude chronologique minutieuse et précise des événements, depuis le mois de juillet 1966 jusqu'en 1976 après la mort de Mao et la liquidation de la « Bande des quatre », dont faisait partie Jiang Qing, la femme de Mao, nos sinologues décrivent dans un style alerte l'atmosphère qui régnait aussi bien à Pékin, Shanghaï, Canton ou dans d'autres villes de province, alors que la contagion s'étendait jusque dans le moindre village de certaines campagnes (mais pas toutes). Pour les auteurs, il ne fait aucun doute que le seul responsable de cette folie meurtrière autant psychologique que physique est bien Mao Zedong.
Dans une mise en perspective historique indispensable, ils rappellent avec justesse que la Révolution culturelle fait suite au Grand Bond en avant commencé en 1958 et qui provoqua une terrible famine et la mort de près de 30 millions de Chinois. La moindre critique sur cet événement restait intolérable (et le reste toujours, d'ailleurs). Dans le même temps, l'ancien allié soviétique prenait selon Pékin le chemin du « révisionnisme », une maladie à laquelle devait échapper la Chine pour maintenir l'unité du parti. « Une affaire de vie ou de mort pour le parti » qui a nourri la paranoïa de Mao. « Plutôt tout détruire du passé » que de risquer l'implosion. Les grandes manoeuvres politiques commencent, les fausses accusations pleuvent, les intellectuels, cadres, responsables du Parti tombent les uns après les autres, « un chambardement politique majeur » prend place.
Sous prétexte de lutte contre « le féodalisme », on change le nom des rues, des théâtres, des hôpitaux, boutiques, journaux, et même les prénoms des individus. Que les gardes rouges de la province du Guang dong changent le nom de la cité voisine de Hong Kong, alors colonie britannique en « Ville chassez-les-impérialistes » ou qu'on coupe les cheveux des filles montre l'absurdité de cet ouragan politique que Mao ne maîtrisait pas toujours, au point qu'un Américain membre du Parti communiste dira : « C'était un opéra-comique qui tourna à la tragédie. »
Au terme de cet immense travail, les deux sinologues veulent voir une lumière au bout du tunnel en soulignant que « le pire cauchemar révisionniste de Mao s'est réalisé, car, de cette folie, est né Deng Xiaoping et les réformes économiques chinoises. (...) Ce chaos a amené Deng à abandonner cette quête d'une version proprement chinoise de la modernité (...) et à voir la Chine prendre le train de la modernité de style occidental », allant même jusqu'à assurer que « de cette époque terrible révolue est née une Chine plus saine et prospère et peut-être un jour plus démocratique ». On ne peut rêver d'un meilleur scénario pour l'avenir du milliard de Chinois.
Dorian Malovic
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2 commentaires:
tu es très fort! Arriver à dater du 31 mars 2010...;-)
si je ne parle pas de ton blog, ça ne veut pas dire que je ne le lis pas, héhé
Merci Hélène :)
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