mardi 8 septembre 2009

OPINION - Un nouvel ordre mondial est en marche - Alexandre Adler

Le Figaro, no. 20250 - Le Figaro, dimanche, 6 septembre 2009, p. 17

À quinze jours de la tenue du G20, la brume ne s'est pas encore levée complètement, mais les contours d'une sorte de nouvel ordre mondial sont en train de se dessiner de plus en plus clairement. Tout d'abord, le Japon. La victoire attendue du Parti démocrate de Hatoyama et Ozawa n'était pas une surprise, mais son ampleur même la transforme en une sorte de mandat impératif. Bien sûr, les États-Unis sont particulièrement sensibles à certaines marques de défiance du centre gauche japonais en matière militaire, mais aussi en matière économique, où le protectionnisme semble connaître un regain de popularité. Mais, derrière ces brouilles en réalité négligeables, ce qui se prépare, c'est le grand tournant du Japon vers la Chine, tout simplement. Et, à terme, bien entendu, il devient concevable d'imaginer une « union de l'Asie orientale » qui ferait de la région tout entière la première puissance économique de la planète.

On le sait, ce rapprochement aura été précédé, voilà plus de six mois, par un accord informel, mais parfaitement respecté, liant les trois banques centrales de Chine, du Japon et de Corée du Sud.

On le voit, les rapports entre les deux grandes puissances de l'Asie étaient donc bien engagés à la hausse, avant la victoire des démocrates japonais. Mais si ce véritable tremblement de terre géopolitique s'accomplit jusqu'au bout de sa logique dans les prochaines années, voire les prochains mois, les répercussions sur la vie intérieure de la Chine seront considérables.

Déjà, la redistribution de facto à laquelle le gouvernement central de Pékin est en train de procéder ne peut qu'avoir des retombées politiques : après avoir distribué, comme il le fait à présent, un pouvoir d'achat considérable pour ranimer le marché intérieur, il serait parfaitement logique de commencer à distribuer, par la suite, du pouvoir tout court, c'est-à-dire de décentraliser et démocratiser la Chine.

Mais revenons, à présent, en Europe. Une nouvelle fois, après la crise géorgienne et la crise financière tout court, Nicolas Sarkozy aura frappé les esprits par la promptitude de sa réaction, qui entraîne un rassemblement que l'on n'attendait ni si rapide ni si profond des principaux États européens. La conjoncture était, il est vrai, favorable : en pleine campagne électorale, Angela Merkel ne pouvait qu'emboîter le pas à la France pour un tour de vis réglementaire que son opinion publique réclame avec la plus grande insistance, droite, gauche et centre ici confondus.

Plus étonnant peut apparaître le quasi-ralliement de Gordon Brown. Ce dernier connaît l'impopularité des bonus et des facilités spéculatives qui ont conduit la City de Londres à un véritable cataclysme dont elle ne s'est pas encore remise. Or il se trouve que les milieux d'affaires américains ont décidé, à tort ou à raison, de se défausser de leurs propres responsabilités, en pointant du doigt les excès de la place financière de Londres.

Un consensus s'établit ainsi peu à peu, de part et d'autre de l'Atlantique, pour estimer que le système financier anglais doit à présent se soumettre à une véritable cure d'amaigrissement. Brown, qui, tout eurosceptique que son calvinisme écossais ait pu le façonner, a tout de même un coup d'oeil stratégique très supérieur à celui de Tony Blair. Il a notamment compris que la position de plus en plus hostile à l'Europe et de plus en plus vainement pro- américaine des conservateurs de Cameron constituait une vulnérabilité essentielle pour l'opposition.

En assumant un rapprochement avec ses partenaires européens et en prenant la tête d'une croisade contre les abus de la finance au nom d'un programme de réindustrialisation, il joue son va-tout pour l'élection attendue début 2010. Du coup, c'est un front commun des trois grands de l'Europe qui se présentera à Pittsburgh, essentiellement sur des propositions, par ailleurs raisonnables, émanant de Paris.

Résumons-nous : le monde ne devient pas multipolaire parce que le Brésil éprouve des démangeaisons subites. Il ne le devient pas davantage parce que l'Inde maintient une croissance très honorable. La véritable multipolarité commence quand deux ensembles de taille comparable à l'Amérique du Nord émergent avec une volonté politique et stratégique.

La volonté, en revanche, des Européens de parler d'une seule voix et de réécrire avec les Américains les nouvelles règles du jeu de la mondialisation n'était pas aussi inexorable. Qu'importe, on reprochera bientôt à Obama « d'avoir perdu l'Europe », comme on le reprochait déjà à George W. Bush. Et on sera injuste dans un cas comme dans l'autre, car il s'agit tout simplement, vingt ans après la chute du mur de Berlin, de l'acte final de l'enterrement de la guerre froide, l'émergence d'un monde pour lequel la lutte entre communistes et libéraux n'a plus strictement le moindre sens.

PHOTO - "Buddha" par Mauro Perrucchetti au Halcyon Gallery / Getty Images

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1 commentaires:

marketing chine a dit…

Intéressant comme réflexion, mais cela a déjà été soulevé non?