C'est le dernier signe d'une tension interethnique grandissante dans la capitale du Xinjiang, deux mois après les émeutes interethniques: les Han accusent les Ouïgours musulmans de mystérieux actes de violence
C'est pour rétablir l'ordre que 7000 «faiseurs d'harmonie» sont dépêchés ces jours-ci dans les rues d'Urumqi, la capitale provinciale du Xinjiang. Depuis la mi-août, cette ville, qui fut le théâtre début juillet de violents affrontements entre Ouïgours musulmans et Han, dont le bilan s'est élevé à 200?morts, est prise d'une psychose collective. Les Han - les colons chinois, qui représentent les trois quarts de la population de ce centre de 2,3 millions d'âmes - se plaignent de mystérieuses attaques à la seringue.
Les autorités évoquent plus de 600 cas à ce jour. L'une de ces attaques, perpétrée contre une femme au marché de Xiaoximen le 3 septembre par quatre individus, a poussé des milliers de Han à descendre dans la rue pour protester contre l'insécurité et le manque de fermeté du pouvoir contre les «agitateurs» ouïgours.
Au passage, les manifestants ont demandé la tête du chef du Parti communiste du Xinjiang, Wang Lequan, un homme qui dirige d'une poigne de fer la région depuis une quinzaine d'années, considéré comme un proche du président Hu Jintao. Les échauffourées avec la police qui s'en sont suivies se sont soldées par la mort de cinq personnes. Le lendemain, le chef du PC de la ville d'Urumqi ainsi que celui de la police étaient limogés.
De ces attaques à la seringue, on sait très peu de chose. Officiellement, 170?personnes avaient des marques de piqûres, dont 22 ont été examinées. Aucune ne souffre de séquelles. Les autorités ont écarté les scénarios d'attaques à l'anthrax ou un produit radioactif. La rumeur évoque du sang contaminé (HIV) ou de l'héroïne. Le Xinjiang compte en effet de nombreux consommateurs de drogue, et le taux de sida est l'un des plus élevés du pays. La police a arrêté dix suspects passibles de la peine de mort s'il devait s'avérer que des substances dangereuses ont été inoculées. Les personnes qui propagent la rumeur risquent également de lourdes peines de prison.
Le pouvoir accuse des «séparatistes» ouïgours, pilotés par leurs représentants en exil dont leur figure de proue Rebiya Kadeer, de mener ces actes de terreur pour diviser les deux ethnies. Certains observateurs s'interrogent toutefois sur cette paranoïa. La Chine a déjà connu pareil phénomène. Il y a quelques années, la ville portuaire de Tianjin avait été paralysée par la peur d'attaques à la seringue de la part de paysans séropositifs qui voulaient se «venger contre la société». L'affaire n'avait jamais été éclaircie.
Qui faut-il croire aujourd'hui? L'agence Chine nouvelle a relativisé la menace en indiquant que certaines des «victimes» n'avaient en réalité que des marques de piqûres de moustique. Nicolas Bequelin, le responsable de Human Rights Watch à Hongkong, s'interroge: «Ce n'est pas clair pourquoi ces incidents sont considérés comme «politiques» plutôt que comme des cas criminels», a-t-il expliqué à un journal canadien. Selon lui, la rumeur se propage avec d'autant plus de vigueur que les communications, les médias et Internet sont censurés.
Cette nouvelle crise est surtout révélatrice du malaise qui, contrairement à ce qu'affirment les autorités, ne cesse de grandir entre les deux communautés. Ilham Tohti, un économiste ouïgour basé à Pékin qui a été brièvement arrêté après les émeutes de juillet, estime dans un entretien à Radio Free Asia, basée à Hongkong, que la haine entre Han et Ouïgours s'approfondit et atteint un point critique: «Si le gouvernement ne gère pas correctement ce problème, des manifestations vont éclater dans plusieurs villes du Xinjiang comme Yining, Hotan, Aksu, Kashgar et Turfan.»
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