L'administration aurait-elle trouvé un nouveau moyen pour réussir à expulser des parents en situation irrégulière ? Le 1er septembre, Yu Hua Tang et Ping Zhou, un couple de restaurateurs chinois installés à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), parents de deux enfants nés en France, se sont vu expliquer les démarches à entreprendre pour engager une procédure de délégation parentale avant d'être expulsés.
Arrivés en France en 1999 pour Yu Hua Tang et en 2003 pour Ping Zhou, ils se sont mariés en 2005 et ont deux enfants, de 4 ans et 10 mois. Restaurateurs ayant pignon sur rue à Clermont-Ferrand, ils ne sont plus en situation régulière : en 2008, la demande de renouvellement de carte de séjour de Ping a été refusée. Toutes les demandes d'asile de son mari ont été rejetées. En février, la préfecture leur a signifié une mesure d'expulsion.
Cet été, l'étau s'est resserré sur la famille Tang-Zhou. Interpellée le 19 août, elle a été conduite au centre de rétention de Rouen (Seine-Maritime). Elle n'a pu cependant être expulsée car Clément, le plus jeune enfant, n'a pas de passeport chinois et la Chine ne veut pas de lui. Le tribunal d'instance a alors assigné la famille à résidence jusqu'au 5 septembre, le temps de régulariser la situation de l'enfant.
Mais, le 1er septembre, deux agents de la police aux frontières se sont présentés à la porte de leur restaurant pour notifier au couple qu'ils devaient embarquer le lendemain soir sur un vol Paris-Pékin. Avec... ou sans leurs enfants. Les fonctionnaires de police leur ont remis un document, qu'ils ont dû signer, intitulé : " La délégation d'autorité parentale pour des parents en situation irrégulière ". Ce document les informait des modalités de la procédure, qui implique la saisine d'un juge aux affaires familiales. " La police leur a dit : vous signez ça et vous pourrez demander un visa pour revenir en France ", raconte Marie Guillermet, militante de la Ligue des droits de l'homme (LDH), qui a assisté à la scène. Tentative de pression ? Le soir même, Yu Hua Tang et Ping Zhou partaient se cacher dans une famille clermontoise avec le soutien du Réseau éducation sans frontières (RESF).
Contactée, la préfecture d'Auvergne renvoie la responsabilité de l'initiative sur le consulat de Chine. " Ce n'est pas nous qui sommes à l'origine de cette absurdité ", affirme le préfet de région, Patrick Stefanini, qui fut secrétaire général du ministère de l'immigration quand celui-ci était occupé par Brice Hortefeux. " Quand ils ont été interpellés au mois d'août, ils ont été présentés au consulat de Chine à Paris. A cette occasion, il semble que le père de famille ait fait part de son intention de partir en laissant un enfant en France ", ajoute M. Stefanini. La mère, Ping Zhou, dément pourtant qu'une telle demande ait été faite. " Au consulat, nous avons expliqué que si nous revenions en Chine, nous aurions du mal à élever nos enfants parce nous n'aurions pas d'argent et pas de situation, raconte-t-elle. Mais nous n'avons jamais demandé à abandonner nos enfants. "
Intégration
Il n'en reste pas moins que la question de la délégation d'autorité parentale a bien été posée. " C'est le consulat de Chine qui nous a fait l'obligation d'informer les parents sur cette procédure pour que nous puissions obtenir les documents de voyage pour la famille et les visas pour les policiers accompagnateurs ", se défend M. Stefanini, qui admet toutefois que cette procédure est " assez inédite ".
Alertée par le réseau RESF, la défenseure des enfants, Dominique Versini, ne cache pas sa stupéfaction, d'autant que la procédure de délégation parentale est " très exceptionnelle ". " Sauf situation de maltraitance, on ne sépare jamais un enfant de sa famille !, s'exclame-t-elle. Inciter des parents à se défaire de leur autorité parentale, à abandonner leurs enfants, c'est totalement contraire à l'éthique, au droit de l'enfant, au droit français. " Mme Versini a saisi début septembre le préfet d'Auvergne, mais n'a reçu aucune réponse à cette date. Elle a également saisi la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) sur le fait que deux policiers se sont présentés au domicile du couple pour remettre un tel document.
A Clermont-Ferrand, au-delà du réseau RESF, Serge Godard, le maire socialiste, et de nombreux élus de gauche, du MoDem et du Nouveau Centre, ont demandé au préfet de régulariser la famille, dont ils saluent l'intégration. Jeudi 10 septembre, M. Stefanini leur a opposé un refus catégorique.
Laetitia Van Eeckhout et Manuel Armand (à Clermont-Ferrand)
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