Le Monde - International, samedi, 17 octobre 2009, p. 7
L'Inde se plaint de constantes incursions de soldats chinois sur son territoire.
La Chine a beau être devenue le premier partenaire commercial de l'Inde, les relations entre Pékin et New Delhi traversent, sur le plan diplomatique, une période de turbulences caractérisée ces derniers jours par des échanges acrimonieux entre les deux capitales. A la racine des difficultés entre les deux géants asiatiques, qui se sont brièvement affrontés en 1962, la question jamais réglée de leurs différends frontaliers, en l'absence d'une ligne formelle de cessez-le-feu : au nord-est de l'Inde, la Chine revendique l'Etat de l'Arunachal Pradesh, un territoire de 90 000 kilomètres carrés.
A l'ouest, l'Inde proteste contre l'occupation continue, depuis le conflit entre les deux nations, de 38 000 kilomètres carrés de territoire cachemiri, dans la région himalayenne de l'Aksai Chin.
Mardi 13 octobre, le porte-parole chinois du ministère des affaires étrangères, Ma Zhaoxu, a vivement protesté contre le récent passage du premier ministre indien, Manmohan Singh, en Arunachal Pradesh. Une visite de haut niveau dans le territoire disputé ne manquant jamais de provoquer les foudres de la Chine : « Nous demandons à la partie indienne de tenir compte des sérieuses préoccupations chinoises et de ne pas provoquer de troubles afin de permettre un développement sain des relations entre la Chine et l'Inde », a déclaré M. Ma.
Quelques heures plus tard, son homologue indien, Vishnu Prakash, affirmait depuis New Delhi que l'Etat de l'Arunachal est « une partie intégrale et inaliénable de l'Inde » et exprimait « la déception et l'inquiétude » de New Delhi devant la réaction hostile de Pékin. M. Prakash a insisté sur le fait que la visite du chef du gouvernement indien, le 3 octobre, n'avait rien d'exceptionnel et n'était qu'une visite de routine avant la tenue de prochaines élections locales dans cet Etat.
Projet « illégal »
Dans ce contexte déjà tendu, l'Inde a protesté, mercredi 14 octobre, contre « les activités chinoises » dans la partie pakistanaise du Cachemire après la signature le mois dernier entre Islamabad et Pékin d'un projet de construction de barrage dont le coût s'élève à plus de 12 milliards de dollars. L'Inde estime qu'un tel projet financé par la Chine, vieille alliée de son rival pakistanais, est « illégal » dans la mesure où cette partie du Cachemire est un territoire disputé entre New Delhi et Islamabad.
A Pékin, la presse du régime publie ces jours-ci des éditoriaux amers contre l'Inde, comme vient de le faire, mercredi, dans sa version anglaise le quotidien The Global Times : l'Inde et la Chine « semblent avoir plus de raisons de se confronter que de trouver un terrain d'entente », écrit le journal qui regrette qu' « après plus de dix séries de négociations tenues à différents niveaux en plusieurs décennies, les deux pays ont échoué à progresser de manière significative [à propos de la question des frontières] ».
Déjà en 2006, l'Inde s'était plainte de « centaines d'incursions de soldats chinois » sur son territoire et ne cesse depuis de protester contre la multiplication de « patrouilles agressives » côté chinois dans le secteur de l'Arunachal.
La tension n'a fait que croître. En juin, le général J. J. Singh, gouverneur de l'Arunachal et ancien chef d'état-major des armées, avait annoncé que l'Inde allait déployer deux divisions de 30 000 soldats le long de la frontière. Quelques jours plus tard, quatre chasseurs Sukhoi Su-30 MIK de l'Indian Air Force se posaient sur la base de Tezpur, en Assam, porte des Etats du nord-est.
En septembre, l'armée indienne a renforcé ses défenses dans les districts de Kinnaur, du Lahaul et de Spiti, situés le long de la frontière tibétaine. « La détérioration de la relation sino-indienne ne risque probablement pas de mener à un conflit à court terme, mais une confrontation soutenue aura de sévères répercussions économiques et politiques pour les deux parties », analyse à New Delhi Swaran Singh, professeur à l'université Jawaharlal-Nehru, spécialiste des questions diplomatiques et auteur d'un ouvrage sur la stratégie chinoise en Asie du Sud.
M. Singh perçoit dans l'agressivité chinoise la résultante du rapprochement entre l'Inde et les Etats-Unis sous l'administration Bush, qui avait inquiété la Chine : « Maintenant que la Maison Blanche souhaite des relations plus étroites avec Pékin et être moins encline à privilégier l'Inde - compte tenu de la question du contrôle des armements voulu par Barack Obama -, la Chine estime qu'il est peut-être temps d'exhaler une colère rentrée. »
PHOTO - India's National Security Adviser M. K. Narayanan (L) shakes hands with China's State Councillor Dai Bingguo before their plenary delegation level talks in New Delhi August 7, 2009.
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