vendredi 23 octobre 2009

INTERVIEW - ROGOFF : « Les US n'échapperont pas à un second plan de relance »

Les Echos, no. 20536 - International, jeudi, 22 octobre 2009, p. 6

Économiste, professeur à Havard et ex-chef économiste du FMI de 2001 à 2003, Kenneth Rogoff, qui est également l'auteur du livre « Huit ­Siècles de folie financière » (Princeton University Press), analyse les conséquences du déclin du dollar et les limites du plan de relance américain.

L'administration Obama semble encore hésiter sur l'adoption d'un second plan de relance budgétaire. Quelles sont ses probabilités selon vous ?

On ne devrait pas le faire, mais on n'y échappera pas. Je prédis qu'il y aura un second plan de relance budgétaire de la même ampleur que le premier [NDLR : 787 milliards de dollars]. La pression politique sera trop importante : il y aura les élections de mi-mandat en 2010 et l'administration va être effrayée par la montée du chômage. Mais ce ne sera pas avant l'année prochaine, car, si on le fait trop tôt, cela voudrait dire que l'on ne croit pas à ce qu'on a fait jusqu'à présent. On ne peut pas le faire avant qu'il y ait clairement un ralentissement de l'économie. Le premier plan de relance a définitivement aidé à restaurer la confiance des entreprises et à maintenir la croissance. On a sous-estimé son impact jusqu'ici. En théorie, nous avons atteint le point où la dette devient un problème, et nous devrions probablement permettre à la croissance de ralentir et nous ajuster pour supporter un taux de chômage plus élevé. Mais le système poli­tique ne le permettra pas.
Que pensez-vous de ce sentiment croissant que les autorités américaines n'en font pas assez pour soutenir le cours du dollar ?

En réalité, le dollar est en grande partie revenu au niveau où il était avant la crise. Même si c'est très douloureux pour l'Europe, il est vrai que les autorités américaines doivent s'en réjouir, en leur for intérieur, car nous avons déjà des taux d'intérêt proches de zéro et un plan de relance budgétaire à plein régime. Ce sera une préoccupation croissante, mais pour plus tard. Si l'euro passe la barre de 1,60 dollar, ce sera très difficile pour les Etats-Unis d'éviter une réaction, y compris à travers une hausse des taux d'intérêt, car ce serait très ardu de justifier une telle parité sur le long terme. S'il y a une réelle chute du dollar, les autorités monétaires devront nécessairement agir.

Pensez-vous qu'il va y avoir un écart croissant entre les niveaux des taux d'intérêt aux Etats-Unis et ceux dans le reste du monde ?

A priori, je pense que les taux américains vont rester à un niveau bas pendant une très longue période et en Europe aussi. Mais dans les pays émergents, qui sont dans une position totalement différente du point de vue du cycle économique, il va falloir relever les taux très rapidement. En ­revanche, les deux banques centrales resteront très prudentes en Europe et aux Etats-Unis, comme cela est souhaitable d'ailleurs.

Comment peut-on prendre au sérieux les Etats-Unis en matière de contrôle du déficit lorsque celui-ci est aujourd'hui le triple de ce qu'il était en 2008 ?

C'est vrai que c'est difficile de les prendre au sérieux car leurs actes ne s'accordent pas à leurs discours. Mais aussi longtemps que les pays asiatiques seront prêts à financer les Etats-Unis avec des taux d'intérêt très bas, ce sera très difficile de faire pression sur le Congrès pour réduire les dé­penses. Le président de la FED, Ben Bernanke, a fait lundi un discours sur la nécessité de réduire le déficit, qui est à peu près à 180 degrés de ce qu'il disait en 2005. Je pense que, cette fois, il a entièrement raison : nous ne devrions pas nous permettre un tel niveau de déficit. Mais, typiquement, si les pays excédentaires comme la Chine ne veulent pas réduire leurs excédents, c'est très dur pour les pays débiteurs de s'ajuster. La Chine doit encore prendre la décision de réduire son niveau d'épargne et ne pas passer de 2.000 à 3.000 milliards de dollars de réserves. Ils sont dans une position très privilégiée par rapport à d'autres pays asia­tiques : ils pourraient réorienter la demande. Mais ils ne veulent pas prendre de risque. Tant qu'ils ne le feront pas, je doute que les Etats-Unis fassent un ajustement significatif.

PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE DE GASQUET (À BOSTON)

PHOTO - Barack Obama et Ben Benanke, août 2009 / Reuters

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