vendredi 13 novembre 2009

ANALYSE - Chimerica, l'impossible alliance - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20550 - Idées, jeudi, 12 novembre 2009, p. 16

Tout va bien se passer. Aucun dossier ne devrait venir gâcher la rencontre, en début de semaine prochaine, à Pékin, dans le Grand Hall du Peuple, entre Barack Obama, qui entame ce matin sa première tournée en Asie et le président chinois Hu Jintao. Ayant décrété que la Chine devait désormais être considérée comme un « partenaire » capable de peser avec « responsabilité » sur les affaires du monde, Washington prend soin, depuis plusieurs mois, de ne pas provoquer les cadres du Parti communiste chinois. L'absence d'Etat de droit, la chasse aux dissidents, la dangereuse course à l'armement, les ambitions territoriales ne sont plus désormais évoqués publiquement par les ministres américains de passage dans la capitale chinoise, qui affirment plutôt vouloir encourager une « coopération constructive » avec le régime autoritaire afin de faire progresser des dossiers plus globaux tels que la dénucléarisation de la Corée du Nord ou la lutte contre le réchauffement climatique. A quelques jours de son déplacement, Barack Obama a ainsi enchanté le régime communiste en repoussant sa rencontre avec le dalaï-lama, qui, depuis vingt ans, est pourtant régulièrement reçu par les hôtes de la Maison-Blanche.

Mardi et mercredi, dans un sourire, les dirigeants des deux pays vont surtout tenter de mettre en scène leurs points d'accord et assurer qu'ils ont convenu de rééquilibrer leur croissance respective pour éviter au monde toute nouvelle crise économique.

Comme la plupart des économistes de la planète, Pékin et Washington reconnaissent en effet que le couple de croissance qu'ils forment depuis plus de dix ans ne peut plus fonctionner. Pendant longtemps, la Chine a assuré l'épargne, et les Etats-Unis, la consommation. Les ménages américains ont acquis des produits « made in China » grâce à des crédits alimentés par les achats de bons du Trésor réalisés par une Chine contrainte d'écouler les centaines de milliards de dollars accumulés par son bouillonnant commerce extérieur. Cette formule magique, qui aurait permis aux deux pays de générer, selon les calculs de l'historien Niall Ferguson, 40 % de la croissance mondiale entre 1998 et 2007, s'est grippée en 2008. Précipités dans la crise financière, les Etats-Unis ont été forcés de revoir leur mode de consommation et ont annoncé qu'ils allaient freiner leur shopping et commencer à épargner. A 12.000 kilomètres de là, les usines du Guangdong ont perdu leurs meilleurs clients et ont licencié 30 millions d'ouvriers pendant l'hiver.

Dans l'urgence, Pékin a alimenté le seul autre moteur de croissance du pays : les investissements, essentiellement publics. Au premier semestre, ils ont constitué_ 88 % de la hausse du PIB chinois. Pour occuper les usines et les ouvriers, des primes à l'achat de réfrigérateurs et de voitures ont été distribuées et des chantiers d'autoroutes et de ponts ont été lancés un peu partout dans le pays en attendant le retour des familles américaines dans les magasins Wal-Mart, approvisionnés en produits chinois. Mais ces familles, si l'on en croit Barack Obama, pourraient désormais se montrer plus rétives à ouvrir leurs portefeuilles. Après les infidélités de 2008 et 2009, le mariage sino-américain serait alors en danger.

Pékin dit vouloir développer sa demande intérieure, qui constitue actuellement à peine 35 % du PIB, mais semble incapable de réaliser les réformes sociales et monétaires qui inciteraient les ménages chinois à puiser dans leur épargne. Le système de sécurité sociale reste quasi inexistant. Les coûts de l'éducation explosent et les salaires ne suivent pas. Le pouvoir d'achat de la population souffre d'un yuan toujours sous-évalué et les entreprises d'Etat continuent de recevoir des aides massives de l'Etat, alimentées par des taux d'intérêt souvent négatifs. Le rééquilibrage de l'économie chinoise semble dès lors mal engagé et Pékin risque rapidement de connaître un ralentissement de son taux de croissance. Si aucune récession ne menace le pays de 1,3 milliard d'habitants, son PIB risque de ne plus connaître les envolées de PIB de plus de 10 % qui ont subjugué le monde depuis la fin des années 1990.

Malgré ses promesses de « coopération », son partenaire américain pourrait accélérer ce ralentissement si une timide reprise aux Etats-Unis et le maintien du taux de chômage à un niveau élevé incitent les responsables politiques, inquiets des échéances électorales, à durcir le ton contre le « made in China » qui volerait les emplois des « honnêtes travailleurs américains ». Malmené dans les sondages, le président Obama a vu avec plaisir sa cote frémir lorsqu'il a approuvé une plus forte taxation des pneus chinois entrant sur le marché américain.

Cette probable poussée des tensions commerciales entre les deux géants pourrait s'avérer périlleuse. Elle pourrait paniquer le Parti communiste chinois, qui n'a plus comme légitimité que la seule performance de la croissance domestique. Pour éviter une gronde sociale, le régime pourrait être tenté de jouer la carte du nationalisme, très efficace dans un pays toujours intimement convaincu que les puissances étrangères, notamment occidentales, continuent d'intriguer pour freiner sa renaissance. Tous les dossiers épineux, tels que les revendications territoriales de Pékin en mer de Chine méridionale, les rapports à Taiwan, les conflits frontaliers ou la course aux armements, que Barack Obama et les autres puissances occidentales ne veulent pas aborder frontalement, pourraient brutalement refaire surface.

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1 commentaires:

Olivier a dit…

j'avais déjà lu cet article mais je ne susi aps tout à fait d'accord, ils peuvent s'allier mais vu qu'ils sont devenu rivaux...