Cela fait déjà un certain temps que l'on fait assaut de créations verbales ou d'acronymes pour définir le grand couple des années 2000, celui qui unit les États-Unis à la Chine. Il y a le G2, sorte de condominium sino-américain, cher à Zbigniew Brzezinski, l'ancien conseiller à la sécurité de Jimmy Carter. Il y a la « Chimerica » de l'historien de l'économie Niall Ferguson et maintenant la « Superfusion », titre du dernier livre de Zachary Karabell, pour qui les deux géants sont devenus une seule « hyperéconomie entrelacée, intégrée ».
De fait, selon les calculs de Ferguson, les deux économies conjuguées ont participé pour 40 % à la croissance globale entre 1998 et 2007. Et, en un certain sens, le « grand flambeur » et le « grand épargnant » se tiennent par la barbichette. La Chine détient 800 milliards de dollars de bons du Trésor américain et le salut des exportations chinoises dépend encore pour beaucoup du marché américain. Côté diplomatie, du Soudan à la Corée du Nord en s'arrêtant en Iran, plus rien ne serait possible sans le feu vert de Pékin.
Soit, mais parler de « fusion » paraît un peu rapide. D'abord parce que les Chinois ont encore une posture ambivalente face à la puissance. Ils la veulent, la revendiquent, mais ne sont pas encore prêts à se distraire de leurs préoccupations intérieures pour prendre une trop lourde part du fardeau mondial. Ensuite, parce que le partenariat n'exclut pas la rivalité et que les deux pays ont certes des intérêts croisés, mais pas forcément les mêmes objectifs ni les mêmes agendas. Ils pourraient ainsi assez vite se raidir sous la pression de leurs problèmes intérieurs.
Le consommateur américain va devoir apprendre à mettre quelques dollars de côté, et son alter ego chinois ne peut prendre la relève au pied levé. Or Hu Jintao a sa sacro-sainte « stabilité sociale » à préserver. Barack Obama aura l'échéance des élections de mi-mandat à négocier en 2010 et il a bien vu que les premières taxes imposées sur les pneus chinois avaient eu une certaine popularité outre-Atlantique. La guerre commerciale ne sera peut-être pas totale, mais il serait hasardeux de conclure dès aujourd'hui au conflit de basse intensité.
Dans un article récent, Dan Twining, du German Marshall Fund, estime que la pensée à la mode d'un remodelage d'une partie du monde autour d'un centre de gravité chinois a sa part de réalité, mais aussi de fantasme et d'excès. Et découle souvent d'un nouveau « complexe d'infériorité occidental ». Il est vrai que la crise a bouleversé les rapports de force et d'attraction. « Plus rien ne sera plus comme avant », confiait récemment au Figaro (édition du 16 octobre 2009) Henry Kissinger, de retour d'un séjour à Pékin. Pour l'artisan du rapprochement sino-américain de 1972, la méfiance des Chinois pour la gestion politique du monde par des Américains trop idéologues s'est désormais étendue aux domaines de l'économie et de la finance. Pourtant, il y a encore peu, « ils faisaient confiance à notre modèle et voulaient même l'imiter », rappelle Kissinger. Cette fascination pour l'Amérique s'est ébréchée, mais l'accueil réservé par la Chine à Barack Obama montre qu'elle a encore de beaux restes.
On parle aujourd'hui d'un « consensus de Pékin » remplaçant le fameux « consensus de Washington ». Comme si le modèle d'un autoritarisme modernisé allait supplanter celui de la démocratie de marché. Peut-être. Mais ces façons de voir et de gouverner, quoi qu'on en dise, restent joliment opposées et leurs hérauts ont encore du chemin à faire avant de former un vrai couple fusionnel.
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À Pékin, le président américain et son hôte chinois ont mis en avant leurs convergences de vue, mais sans chaleur excessive.
On ne s'attendait pas à des grandes embrassades ou des high five retentissants, ce n'est pas le genre de la Maison du peuple, mais la conférence de presse conjointe des présidents américain et chinois, hier à Pékin manquait singulièrement de chaleur et de vie. Sans que l'on puisse savoir si cette froideur découlait de l'âpreté des discussions ayant précédé, ou tout simplement des règles d'un exercice très figé. Il s'est résumé à la lecture de deux communiqués, aucune question n'étant autorisée.
Après le petit bain de foule estudiantine, étroitement canalisé, lundi à Shanghaï, Barack Obama a donc ouvert hier à Pékin la séquence politique de son premier voyage en Chine par un entretien avec Hu Jintao. Sans surprise, mais sans lyrisme, les deux chefs d'État ont fait l'éloge du caractère « global et positif » de leur relation bilatérale. Hu Jintao a salué l'instauration de relations « stratégiques de long terme » tandis que Barack Obama affirmait que « les relations entre les États-Unis et la Chine n'ont jamais été aussi importantes pour notre avenir collectif ».
À l'appui de cette mutuelle congratulation, les deux chefs d'État ont passé en revue les dossiers qu'ils avaient fait progresser, réservant tous deux pour la fin de leur intervention les « inévitables » sujets de divergence. Mais, même sur les questions présentées comme consensuelles, on a pu percevoir, par quelques allusions ou omissions, les points où se porte le fer, notamment sur le registre économique (voir encadré).
Le dalaï-lama cité au Palais du peuple
Sur l'un des sujets clés de la visite, le climat, les discussions auraient ainsi été « fructueuses ». L'Américain et le Chinois voulaient peut-être corriger l'impression d'avoir un peu enterré Copenhague le week-end dernier au sommet de l'Apec (Coopération économique Asie-Pacifique) à Singapour. Ils avaient jugé « irréaliste » d'espérer qu'un accord juridiquement contraignant soit négocié d'ici à Copenhague et acquiescé au principe d'un processus en deux temps : accord politique au Danemark, puis négociations plus techniques en 2010. Hier, Barack Obama a assuré que son but et celui du président chinois n'était pas un simple « accord partiel ni une déclaration politique, mais plutôt un accord qui couvre toutes les questions et ait un effet opérationnel immédiat ». Il a ajouté que les deux pays s'engageaient à prendre des mesures « significatives » pour diminuer leurs émissions de CO2. « Sans les efforts à la fois de la Chine et des États-Unis, les deux plus gros consommateurs et producteurs d'énergie, il ne peut y avoir de solutions », a-t-il reconnu.
Sur les grandes crises du moment, les violons se seraient accordés. Évoquant la Corée du Nord, les deux chefs d'État se sont retrouvés sur « l'importance de reprendre dès que possible les pourparlers à Six ». Mais c'est surtout d'Iran que les deux dirigeants ont discuté, même si Barack Obama a semblé avoir une interprétation plus extensive de leur convergence de vue que Hu Jintao. Selon le président américain, les deux hommes sont tombés d'accord sur le fait que l'Iran doive « donner au monde l'assurance que son programme nucléaire est pacifique et transparent ». Et que Téhéran devrait assumer les « conséquences » d'un blocage. Les propos de Hu Jintao, jusqu'à présent très réticent à de nouvelles sanctions contre ce partenaire si riche en pétrole et en gaz, ont paru plus mesurés. Il s'est contenté d'appeler à un règlement de la crise par « le dialogue et la négociation ».
Le président chinois s'est félicité que les deux parties aient réaffirmé leur volonté de « ne pas interférer dans les affaires intérieures » de l'autre. Proposition à laquelle Barack Obama a acquiescé, tout en apportant quelques nuances. Il a ainsi affirmé que certaines valeurs ne pouvaient être imputées à la seule Amérique, mais avaient une portée universelle. Il a dit avoir rappelé à son interlocuteur que les droits de l'homme devaient être respectés pour toutes les minorités de Chine, avant de parler plus précisément de la si sensible question du Tibet. Tout en reconnaissant que « le Tibet fait partie de la République populaire de Chine », il a exhorté Pékin à renouer le dialogue avec le dalaï-lama, nommément cité sous les lambris dorés du Palais du peuple. À la grande satisfaction chinoise, Barack Obama s'était refusé à recevoir le leader tibétain lors de son voyage à Washington le mois dernier, mais la rencontre devrait avoir lieu dans les semaines ou mois qui viennent.
Barack Obama arrivera ce soir en Corée du Sud, dernière étape de sa tournée asiatique. Auparavant, une petite promenade sur la Grande Muraille est prévue, après qu'il a visité hier au pas de charge la Cité interdite, dans une atmosphère glaciale, au sens météorologique du terme.
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