jeudi 5 novembre 2009

DISPARITION - Qian Xuesen, le père des technologies aérospatiales chinoises

Le Monde - Carnet, vendredi, 6 novembre 2009, p. 29

Etrange destin que celui de
Qian Xuesen, le père des technologies aérospatiales chinoises, mort le 30 octobre à Pékin, à l'âge de 97 ans. Il a aussi une part de paternité dans l'essor de la science spatiale américaine. Part qui aurait pu être plus grande encore, si le maccarthysme n'était passé par là.

Né à Hangzhou, près de Shanghaï, le 11 décembre 1911, le jeune Chinois rejoint le California Institute of Technology (Caltech, à Pasadena, Californie) en 1936, à 25 ans, après avoir fait ses classes universitaires à Shanghaï, puis au Massachusetts Institute of Technology. Au Caltech, Theodore von Karman, pionnier dans la construction de fusées, le remarque aussitôt, dans la bande de jeunes ingénieurs, bientôt surnommée sur le campus " l'équipe suicide ", en raison des explosions qui ponctuaient ses essais.

En 1939, quand l'US Army fait appel au Caltech pour mettre au point un système de propulsion pour réduire la distance de décollage de ses bombardiers, il est de la partie. En 1943, il est l'un des rédacteurs du projet militaire qui charge le Caltech de faire pièce au programme allemand de missiles. C'est dans ce texte qu'apparaît, pour la première fois, le sigle JPL, pour Jet Propulsion Laboratory, qui est aujourd'hui encore, à Pasadena, au centre de l'activité d'exploration spatiale américaine.

La confiance dans les capacités de Qian Xuesen est alors telle qu'il bénéficie de toutes les accréditations pour travailler au Pentagone sur les projets les plus secrets. En 1945, il est même envoyé en Allemagne, avec le grade de colonel, pour interroger Wernher von Braun, le concepteur des fusées V1 et V2, lors de l'opération " Paper Clip " de récupération des savants allemands. L'ancien nazi deviendra la cheville ouvrière du programme lunaire lancé par John Kennedy.

Après la seconde guerre mondiale, von Karman plaide pour l'admission de Qian Xuesen au sein du comité scientifique chargé de conseiller l'Air Force. " A 36 ans, c'était un génie sans égal, dont le travail donnait une énorme impulsion dans l'avancée de l'aérodynamique à haute vitesse et à la propulsion par réacteur ", devait écrire son mentor. En 1949, il ébauche un avion spatial parfois considéré comme l'ancêtre de la navette américaine.

" C'était le meilleur élève de von Karman ", confirmait William Pickering (1910-2004), qui dirigea le JPL de 1954 à 1976. Mais, en 1950, alors qu'il se porte candidat à la nationalité américaine, les zélotes du maccarthysme soupçonnent Qian Xuesen d'avoir eu des sympathies communistes durant les années 1930. On lui retire toutes ses accréditations. Puis les autorités s'inquiètent lorsqu'il décide de retourner en Chine : le jeune colonel en sait beaucoup trop. Il est arrêté à Honolulu, puis placé en résidence surveillée.

Sa réclusion " était une triste situation ", remarquait William Pickering qui, à la fin de sa vie, croyait se souvenir qu'elle n'avait duré que quelques mois - une mémoire sélective, symptôme de la mauvaise conscience américaine sur cette affaire ? En fait, Qian Xuesen est tenu au secret jusqu'en 1955, lorsque la Chine obtient son retour en échange de prisonniers américains en Corée, après une lettre adressée par Qian Xuesen à Zhou Enlai, alors premier ministre.

Le transfuge se met aussitôt au service de la jeune République populaire : il crée le premier institut de recherche spatiale, d'abord doté de moyens ridicules. Il travaille pour le ministère de la défense, où il participe à la mise au point de la première bombe atomique chinoise, en octobre 1964, et à celle des premiers missiles capables de transporter le feu nucléaire. Les Etats-Unis, qui se mordent les doigts d'avoir laissé partir un tel organisateur, se consolent en considérant qu'il contribue aussi à affaiblir la position de l'URSS, qui doit désormais compter avec une puissance atomique à sa porte.

En 1970, Qian Xuesen est crédité de la mise en orbite du premier satellite chinois. La lignée des missiles et des fusées Longue Marche font partie de son héritage. Les avancées plus récentes du secteur spatial chinois lui sont tout aussi redevables : en 2003, la Chine a été la troisième nation capable d'envoyer un homme en orbite, après l'URSS (1961) et les Etats-Unis (1962). En 2007, l'empire du Milieu a confirmé sa maîtrise en lançant sa première sonde vers la Lune. Et a défié les Etats-Unis sur le terrain de la guerre spatiale, en détruisant un de ses propres satellites à l'aide d'un missile parfaitement guidé. L'expérience a durablement ajouté à la pollution de notre banlieue terrestre. Mais elle a prouvé au monde le statut de puissance spatiale de la Chine.

Le pays en est reconnaissant à Qian Xuesen. Une foule s'est pressée pour se recueillir devant son cercueil. Des internautes saluent la mémoire " d'une superstar ". Au point de gommer une tache noire sur son parcours : au moment du Grand Bond en avant (1958), ses calculs erronés sur les rendements agricoles masquent la famine meurtrière et justifient la lutte sanguinaire du régime contre des " dissimulations de récolte " imaginaires.

En 1989, c'est tout naturellement que ce membre du parti condamne les manifestations de Tiananmen. En août dernier, le premier ministre, Wen Jiabao, lui avait rendu visite, pour le féliciter de sa contribution aux technologies militaires chinoises. Le patriarche, passionné de musique classique - Beethoven en particulier -, de peinture chinoise classique et de calligraphie, lui avait répondu que son ambition désormais était de vivre " jusqu'à 100 ans ".

Hervé Morin avec Bruno Philip à Pékin

11 décembre 1911

Naissance à Hangzhou (sud-ouest de Shanghaï)

1936

Entre au Caltech, aux Etats-Unis

1945

Interroge von Braun en Allemagne

1955

Expulsé vers la Chine

1970

Crédité de la mise en orbite du premier satellite chinois

30 octobre 2009

Mort à Pékin

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